10 octobre 2013

Un poker à Washington.


Le monde le redoutait, les Américains aussi, et, finalement, le voilà qui a bien fini par sortir de la forêt politique de Washington pour montrer le bout de son nez. Lui, c’est le shutdown, ou blocage du budget américain, omniprésent sur les langues des géopoliticiens et économistes depuis déjà quelques jours, alors qu’il avait pourtant été porté disparu depuis 1996, et le premier mandat de Bill Clinton.

18 blocages en 42 ans.

Le shutdown, n’est, en effet, pas une nouveauté dans le pays de l’Oncle Sam. Cela a déjà été le cas 18 fois en 42 ans, et les États-Unis n’ont pas pour autant disparu de la carte. Malgré les risques inconsidérés qui pourraient replonger l’économie américaine dans les marasmes de la crise économique c’est, bel et bien, une partie de poker menteur qui se joue sous les projecteurs du District of Columbia. 

Comme dans le célèbre jeu de carte américain, il a, en effet, bien fallu miser pour espérer voir des éventuelles retombées d’investissement, ou, au contraire, tout perdre. Néanmoins, dans ce cas, c’est le peuple américain qui pourrait, au final, être sacrifié sur l’autel des ambitions politiques des divers partis. Il est clair que cette paralysie du budget va toucher très rapidement les Américains moyens, car les administrations, musées, parcs nationaux et même la Maison-Blanche tournent au ralenti, faute de budget pour régler leurs dépenses quotidiennes et donc pour payer leurs employés...

L’anachronisme des Pères Fondateurs.

Les raisons de cette impuissance administrative sont simples et peuvent se résumer en deux points. La première est ancienne, très ancienne, car elle nous fait voyager jusqu’à l’essence même de la Constitution du pays, ratifiée en 1787 par une convention réunie à Philadelphie, la ville de l’amour fraternel. Ce texte écrit par les « Pères Fondateurs » [nom donné aux « Pères » de l’indépendance militaire et idéologique des États-Unis] est clairement bâti sur la séparation stricte des pouvoirs. Bien que le pouvoir américain se schématise à l’étranger, le plus souvent, par la figure du président, ce n’est finalement que la partie émergée de l’iceberg que contemple le monde. Les contrastes sont en effet forts entre les différents États de l’Union qui disposent d’un climat, d’une économie, d’une population et même d’une histoire disparate. 

C’est pour cela que le pays entier s’est construit avec 50 pierres uniques, et donc que la Constitution a décidé de séparer, jusqu’à la fracture, les pouvoirs entre le Président de l'État fédéral et sa Chambre des Représentants, dont chaque membre porte l’étendard de son propre État. Afin d’assurer ce pragmatisme local, les « Pères Fondateurs » ont fait en sorte que les mandats soient brefs, avec un pays en élections présidentielles ou parlementaires tous les deux ans. Ces institutions presque anachroniques forcent donc le Congrès et la Maison-Blanche a continuellement parlementer.

« Tout sauf l’Obamacare ».

Ajouter à ces institutions complexes les actions du Tea Party et vous comprendrez la crise actuelle. Cette aile droite du parti républicain, dont le nom rappelle la Boston Tea Party, acte de bravoure de la lutte pour l’indépendance du pays, veut faire peur. En effet, ces conservateurs ont en ligne de mire le 17 octobre, jour où le Congrès doit voter le relèvement du plafond de la dette, ce qui serait impossible sans un accord sur le budget et donc où les États-Unis pourraient être déclarés en cessation de paiement avec toutes les conséquences économiques que cela auraient sur l’économie nationale. 

Ce Tea Party a redessiné la stratégie républicaine depuis quelques années en étant franchement hostiles à l'État fédéral, et en luttant intimement contre les aides sociales, vues comme de la charité que le contribuable lui-même devrait payer. C’est donc une réelle « croisade idéologique » comme l’a qualifié Barack Obama, car les élus du Tea Party rêvent toujours de mettre fin à l’Obamacare, la réforme de santé, chef d’œuvre du mandat du 44ème Président des États-Unis. Parallèlement à cela, c’est également les élections internes du parti républicain qui sont dans le viseur de cette aile conservatrice, avec l’objectif ambitieux de les gagner pour réussir ainsi à faire pencher encore plus le parti à droite.

Barack Obama, en compagnie du Vice-président Joe Biden, dénonçant la « croisade idéologique » que mènent les Républicains au Congrès.

Barack Obama, carré d’as ?

Les cartes du Tea Party ne semblent, certes, pas réellement surprenantes, mais qu’en est-il de celles de Barack Obama, lui aussi grand acteur de ce poker à Washington ? Le shutdown semble lui profiter, contrairement aux Républicains qui passent pour des empêcheurs de tourner en rond. Le Président l’a répété plusieurs fois, cette « croisade idéologique » des conservateurs a un réel impact sur les Américains et prend en otage l’économie du pays. En affirmant sur les réseaux-sociaux et même dans ses discours sa volonté de négocier et son ouverture d’esprit, le Président vise à ridiculiser un Tea Party égoïste et dans le même temps, à décrédibiliser les Républicains pour les prochaines élections parlementaires pour récupérer la majorité dans les deux chambres. 

La stratégie de la Maison-Blanche est donc claire, dénoncer le manque de sérieux des Républicains, qui, en jouant la carte du « tout sauf l’Obamacare », seraient prêts à sacrifier des millions d’Américains pour obtenir cette victoire tant désirée. Surfant sur des sondages plutôt bons (44% de bonnes opinions, contre seulement 17% pour le Congrès), Obama semble être en position de force. Reste donc à savoir quelles seront les cartes dévoilées par les deux partis dans les prochains jours pour voir si ce jeu de poker menteur se finira avant la date fatidique du 17 octobre.

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