17 octobre 2013

Babilonia, favela pacifiée.


Rio de Janeiro, la ville merveilleuse du Brésil, détient son lot de magie. Une baie brumeuse où de nombreux îlots de montagnes sortent de l’eau, couverte de jungle et de plages blanches malgré la proximité de la ville. Pourtant une partie des Cariocas, les habitants de Rio, vivent dans les quartiers pauvres, connus sous le nom de « favelas ». En 2008, la ville de Rio a mis en place une nouvelle police de proximité chargée de résoudre les problèmes de violence et de drogue dans ces quartiers. Visite de la « favela » pacifiée de Babilonia. 




Babilonia se situe en plein cœur de Rio, au bout de la grande plage de Copacabana, sur les hauteurs de Leme. Une voiture de la police pacificatrice (UPP), les gyrophares allumés, indique l’entrée de la  favela. Pour grimper la pente raide, nous demandons aux « motoboys » le service pour 3 reals. Au fil de notre ascension, nous observons l’animation dans les bouis-bouis où hommes et femmes se retrouvent après la journée. Quelques uns ont même déjà improvisé les airs les plus connus de samba. Au gymnase, les jeunes garçons jouent au foot et les fillettes font les coquettes avec de jolies robes roses et des chaussures à paillettes. Un stand de coiffure est improvisé par des ados, tondant les têtes des hommes de la communauté, tandis que les plus vieux profitent de l’animation, sur fond de musique pop, pour descendre des caisses entières de bières en se racontant les dernières nouvelles. A mesure que nous progressons vers le sommet, les maisons de béton et de briques sont remplacées par des habitations de fortune, aux minces parois ajourées. La rue principale s'achève laissant place à de petites ruelles en escalier qui s’enfoncent dans le cœur de la favela. Il n'y a plus aucune organisation dans la construction des étages. Maisonnettes d’un étage, puis deux quand viennent les enfants, puis trois pour les petits-enfants. Aménagées, décorées, riches en couleurs, en gris-gris porte-bonheur, ces maisonnettes reflètent une existence soignée malgré les moyens modestes des gens d’ici. Ces maisons sont fragiles ; pourtant, l’ensemble a du charme. Nous percevons la cohésion de la communauté, nous y voyons beaucoup de sourires. Nous croisons une bâtisse, plus massive, portant l’inscription de la police. Celle-ci fait partie intégrante du paysage de la favela. Des immeubles ont été construits par l’administration locale afin de reloger les plus démunis. La construction d’une route qui atteindra les logements culminants de la montagne, désenclavera cette partie de Babilonia, la plus sensible en raison des trafics de drogues qui persistent.

 Au terme de notre ascension, Thiago nous ouvre ses portes et nous emmène sur le toit de la maison dans laquelle il vit avec ses parents et son frère de 14 ans. Nous goûtons alors à la plus grande richesse de la communauté : une vue imprenable sur la baie de Copacabana, des montagnes de Leme au Corcovado, l’étendue des 4,5 km de plages, et la ville grouillante, lumineuse, ses immeubles géants paraissant dérisoires à cette hauteur. Pour les habitants de Babilonia, la Cidade Maravilosa revêt ses plus belles couleurs.


Contexte.

A la fin du 19e siècle, des soldats de Rio furent envoyés pour réprimer les révoltes d’esclaves récemment affranchis dans le pays. Ils reçurent la promesse qu’une parcelle de terre dans la ville leur serait attribuée à  leur retour, comme récompense. Quand les soldats rentrèrent, les autorités les ignorèrent et ils durent s’installer avec leurs familles dans des baraques de fortune, colonisant les montagnes de la ville moins accessibles que la vallée déjà occupée par les habitants plus aisés. Ils y trouvèrent une plante piquante appelée favela qui donna son nom à la communauté qui venait de naître : Moro de favela.

Aujourd’hui, l’appellation favela sert à désigner tous les quartiers pauvres du Brésil. La ville de Rio en compte plus de 1000 qui abritent un tiers de sa population, sur les hauteurs et en périphérie de la ville. Depuis plus de 30 ans, les favelas de Rio sont sous la coupe de trois principaux groupes de trafiquants de drogues, le Terceiro Comando, le Comando Vermelho, et les Amigos de Amigo. Ils se sont substitués à l’Etat au sein des favelas de la ville, organisant les trafics et distribuant des aides alimentaires aux plus démunis en échange de leur collaboration. Régulièrement, le gouvernement de Rio envoie la police d’assaut, la BOPE, pour un « grand ménage »Le climat est d'une violence extrême et les victimes sont souvent nombreuses. L’assaut de Morro dos Macacos, dans le Nord de la ville, en 2009, a fait 12 morts et 8 blessés.

En novembre 2008, le secrétaire d’état de Rio à la défense, José Mariano Beltrame, et le gouverneur Sergio Cabral lancent la première Unité de Police Pacificatrice (UPP) dans le cadre d’un programme de lutte contre l’insécurité au sein des favelas de la ville, qui s’accompagne de la construction d’infrastructures (routes, transports, évacuation d’eaux usagées, etc.). Les UPP reçoivent une formation à dimension psychologique et sociale dans le but de s’intégrer aux populations des favelas de façon permanente et ainsi empêcher le retour des narcotrafiquants.

Point de vue des Babiloniens.

La prise de conscience des politiques et la mise en place d’un programme adapté au sein des quartiers pauvres, est déjà une évolution importante de la politique brésilienne. Le quotidien des habitants est incontestablement plus sain. Ils peuvent sortir de chez eux sans risque de balles perdues.

Pour les jeunes du quartier, « l’éradication des narcotrafics » est une formule-vitrine.  En réalité, nous confie l’un d’entre eux, il existe encore des trafics de drogue dans les parties hautes de la favela, là où la police ne vient pas fourrer son nez. Ils sont cependant moins visibles. Il nous fait part de sa méfiance vis-à-vis des policiers de l’UPP. Comparables à la police de proximité en France, ils sont, au Brésil, lourdement armés et présents en masse à chaque angle de rue. Ils partagent pourtant les repas de la communauté, croquant un burger de chez Maria à midi, ou une feijoada traditionnelle dans une des lanchonettes de la rue.  C’est parce que les habitants se souviennent de la violence de la BOPE et des règlements de compte par les barons de la drogue, que la présence policière est mal acceptée. La confiance envers le gouvernement qui les a négligés si longtemps est elle aussi limitée. La politique de sécurité engagée dans l’optique de l’accueil de la FIFA en 2014 et des JO en 2016 par la ville, sera-t-elle maintenue après que la ville a reçu les félicitations de la communauté internationale ?

Le père de Thiago, lui, pense que police ou non ça ne change rien . Tant que des réformes durables ne sont pas engagées dans les domaines de la santé et l’éducation, la vie des habitants des quartiers pauvres ne changera pas. En effet, le Brésil - bien que géant économique -, est encore un cancre dans ces deux domaines malgré des réformes comme la bolsa familia, engagée par le président Lula (PT) en 2003, qui ont fait passer de 20 à 11% en 2011 le taux de Brésiliens vivant dans la pauvreté extrême . Le chemin est encore long avant de parvenir à gommer les profondes inégalités qui divisent la société brésilienne. 





Aujourd’hui 33 UPPs ont vu le jour et l’objectif est d’atteindre les 40 pour 2020. Les effectifs de la police sont pourtant bien insuffisants pour assurer la couverture des favelas les plus pauvres, en périphérie de la ville où certains des groupes de narcotrafics comme Comando Vermelho se sont retranchés. L’engagement de campagne prioritaire de la présidente Dilma (PT) de sortir le pays de l’extrême pauvreté en poursuivant les réformes sociales, s’est concrétisé par la signature du programme  «Brésil sans misère », le 2 juin 2011. Il laisse penser que les efforts en termes d’infrastructures et d’assainissement seront accentués pour améliorer les conditions de vie et libérer définitivement les favelas du joug des narcotrafics.  L’expression « favela pacifiée » fait pourtant sourire les habitants de Babilonia et sert, sans aucun doute, plus pour la plaquette touristique des « favelas tours », pour les 5 % de touristes qui s’intéressent au visage si longtemps caché de la Cidade Maravilosa et bénéficient du point de vue sur la baie de Rio, brumeuse sous le soleil pale de cet hiver 2013.

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