Rio de Janeiro, la ville merveilleuse du Brésil, détient son lot de
magie. Une baie brumeuse où de nombreux îlots de montagnes sortent de l’eau, couverte
de jungle et de plages blanches malgré la proximité de la ville. Pourtant une
partie des Cariocas, les habitants de Rio, vivent dans les quartiers pauvres, connus sous le nom de « favelas ». En 2008, la ville de Rio a mis en place une nouvelle police
de proximité chargée de résoudre les problèmes de violence et de drogue dans ces
quartiers. Visite de la « favela » pacifiée de Babilonia.
Babilonia se situe en plein cœur de
Rio, au bout de la grande plage de Copacabana, sur les hauteurs de Leme. Une
voiture de la police pacificatrice (UPP), les gyrophares allumés, indique l’entrée de la favela. Pour grimper la pente raide, nous
demandons aux « motoboys » le service pour 3 reals. Au fil de notre ascension, nous observons l’animation dans les bouis-bouis où hommes et
femmes se retrouvent après la journée. Quelques uns ont même déjà improvisé les
airs les plus connus de samba. Au gymnase, les jeunes
garçons jouent au foot et les fillettes font les coquettes avec de jolies robes roses et des chaussures à paillettes. Un stand de coiffure est improvisé par des ados, tondant les têtes des hommes de la communauté, tandis que
les plus vieux profitent de l’animation, sur fond de musique pop, pour descendre des caisses entières de bières en se racontant les dernières nouvelles. A mesure que nous progressons vers le
sommet, les maisons de béton et de briques sont remplacées par des habitations de fortune, aux minces
parois ajourées. La rue principale s'achève laissant place à de petites
ruelles en escalier qui s’enfoncent dans le cœur de la favela. Il n'y a plus aucune organisation dans la construction des étages. Maisonnettes d’un
étage, puis deux quand viennent les enfants, puis trois pour les petits-enfants. Aménagées, décorées, riches en couleurs, en gris-gris
porte-bonheur, ces maisonnettes reflètent une existence soignée malgré les moyens modestes des
gens d’ici. Ces maisons sont fragiles ; pourtant, l’ensemble a du charme. Nous
percevons la cohésion de la communauté, nous y voyons beaucoup de sourires.
Nous croisons une bâtisse, plus massive, portant l’inscription de la police.
Celle-ci fait partie intégrante du paysage de la favela. Des
immeubles ont été construits par
l’administration locale afin de reloger les plus démunis. La construction d’une route qui atteindra les logements culminants de la montagne, désenclavera cette partie de Babilonia, la plus sensible en raison des trafics de drogues qui persistent.
Au terme de notre ascension, Thiago nous ouvre
ses portes et nous emmène sur le toit de la maison dans laquelle il vit avec ses parents
et son frère de 14 ans. Nous goûtons alors à la plus grande richesse de la
communauté : une vue imprenable sur la baie de Copacabana, des montagnes de Leme
au Corcovado, l’étendue des 4,5 km de plages, et la ville grouillante,
lumineuse, ses immeubles géants paraissant dérisoires à cette hauteur. Pour les habitants de Babilonia, la Cidade Maravilosa revêt ses
plus belles couleurs.
Contexte.
A la fin du 19e siècle,
des soldats de Rio furent envoyés pour réprimer les révoltes d’esclaves récemment
affranchis dans le pays. Ils reçurent la promesse qu’une parcelle de terre dans
la ville leur serait attribuée à leur
retour, comme récompense. Quand les soldats rentrèrent, les autorités les
ignorèrent et ils durent s’installer avec leurs familles dans des baraques de
fortune, colonisant les montagnes de la ville moins accessibles que la vallée déjà
occupée par les habitants plus aisés. Ils y trouvèrent une plante piquante
appelée favela qui donna son nom à la communauté qui venait de naître : Moro de favela.
Aujourd’hui, l’appellation favela sert à désigner tous les quartiers pauvres du Brésil. La ville de Rio en compte plus
de 1000 qui abritent un tiers de sa population, sur les hauteurs et en
périphérie de la ville. Depuis plus de 30 ans, les favelas de Rio sont sous la
coupe de trois principaux groupes de trafiquants de drogues, le Terceiro Comando, le Comando Vermelho, et les Amigos de Amigo. Ils se sont substitués
à l’Etat au sein des favelas de la ville, organisant les trafics et distribuant
des aides alimentaires aux plus démunis en échange de leur collaboration.
Régulièrement, le gouvernement de Rio envoie la police d’assaut, la BOPE, pour
un « grand ménage ». Le climat est d'une violence extrême et les victimes sont souvent nombreuses. L’assaut
de Morro dos Macacos, dans le Nord de la ville, en 2009, a fait 12 morts
et 8 blessés.
En novembre 2008, le secrétaire
d’état de Rio à la défense, José
Mariano Beltrame, et le gouverneur Sergio Cabral lancent la première Unité de Police
Pacificatrice (UPP) dans le cadre d’un programme de lutte contre l’insécurité
au sein des favelas de la ville, qui s’accompagne de la construction d’infrastructures
(routes, transports, évacuation d’eaux usagées, etc.). Les UPP reçoivent une
formation à dimension psychologique et sociale dans le but de s’intégrer aux
populations des favelas de façon permanente et ainsi empêcher le retour des
narcotrafiquants.
Point de vue des Babiloniens.
La prise de conscience des politiques et la
mise en place d’un programme adapté au sein des quartiers pauvres, est déjà
une évolution importante de la politique brésilienne. Le quotidien des
habitants est incontestablement plus sain. Ils peuvent sortir de chez eux sans risque de balles perdues.
Pour les jeunes du quartier,
« l’éradication des narcotrafics » est une formule-vitrine. En
réalité, nous confie l’un d’entre eux, il existe encore des trafics de drogue
dans les parties hautes de la favela, là où la police ne vient pas fourrer son
nez. Ils sont cependant moins visibles. Il nous fait part de sa méfiance
vis-à-vis des policiers de l’UPP. Comparables à la police de proximité en France, ils sont, au Brésil, lourdement armés et présents en masse à chaque angle
de rue. Ils partagent pourtant les repas de la communauté, croquant un burger
de chez Maria à midi, ou une feijoada traditionnelle dans une des lanchonettes de la rue. C’est parce que les habitants se souviennent de
la violence de la BOPE et des règlements de compte par les barons de la drogue,
que la présence policière est mal acceptée. La confiance envers le gouvernement
qui les a négligés si longtemps est elle aussi limitée. La politique de
sécurité engagée dans l’optique de l’accueil de la FIFA en 2014 et des JO en
2016 par la ville, sera-t-elle maintenue après que la ville a reçu les
félicitations de la communauté internationale ?
Le père de Thiago, lui, pense que police ou non ça ne change rien . Tant que des réformes durables
ne sont pas engagées dans les domaines de la santé et l’éducation, la vie des
habitants des quartiers pauvres ne changera pas. En effet, le Brésil - bien que géant
économique -, est encore un cancre dans ces deux domaines malgré des réformes
comme la bolsa familia, engagée par le président Lula (PT) en 2003, qui ont fait passer de 20 à 11% en 2011 le taux de Brésiliens vivant dans la pauvreté extrême . Le chemin est encore long avant de parvenir à gommer les profondes inégalités qui divisent la société brésilienne.
Aujourd’hui 33 UPPs ont vu le jour
et l’objectif est d’atteindre les 40 pour 2020. Les effectifs de la police sont
pourtant bien insuffisants pour assurer la couverture des favelas les plus
pauvres, en périphérie de la ville où certains des groupes de narcotrafics comme
Comando Vermelho se sont retranchés. L’engagement
de campagne prioritaire de la présidente Dilma (PT) de sortir le pays de l’extrême
pauvreté en poursuivant les réformes sociales, s’est concrétisé par la
signature du programme «Brésil
sans misère », le 2 juin 2011. Il laisse penser que les efforts en
termes d’infrastructures et d’assainissement seront accentués pour améliorer
les conditions de vie et libérer définitivement les favelas du joug des
narcotrafics. L’expression « favela
pacifiée » fait pourtant sourire les habitants de Babilonia et sert, sans
aucun doute, plus pour la plaquette touristique des « favelas tours »,
pour les 5 % de touristes qui s’intéressent au visage si longtemps caché de la
Cidade Maravilosa et bénéficient du point de vue sur la baie de Rio, brumeuse sous
le soleil pale de cet hiver 2013.
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