9 juillet 2013

J’ai pris le thé avec Robert Barouki, toxicologue.


Nous commençons cette chronique par un entretien avec Robert Barouki, directeur du pôle toxicologie, pharmacologie et signalisation de l'université Paris V. Il me propose une tasse de thé dans son bureau de la rue des saints Pères où sont situés nombre de laboratoires de recherche, étudiant chaque parties du corps, le cerveau, les cellules, les molécules… Je m’assois, déjà étourdie par tous ces noms rêveurs et on commence une discussion animée en sirotant l’eau chaude aromatisée.

La toxicologie, déjà, qu’est-ce que c’est ?
« La toxico, c’est l’étude des effets négatifs d’un agent chimique, physique ou biologique, sur le corps humain. Dans nos laboratoires,  nous nous intéressons aux effets et aux mécanismes d’action de ces molécules. »

Qu’y a-t-il comme molécules toxiques par exemple ?
« Certains médicaments et certains polluants, comme la dioxine ou les pesticides, sont des polluants chimiques. La radioactivité ou les ondes de téléphone, en revanche, sont des polluants physiques. Ici, nous étudions particulièrement les polluants chimiques très persistants. C'est-à-dire que malgré une exposition courte, ces molécules ne seront éliminées de notre corps qu'après des années.
Prenez l’exemple des dioxines : elles sont assez connues depuis l’accident industriel survenu à Seveso [en Italie, le 10 juillet 1976, ndb] et pour avoir été utilisées durant la guerre du Vietnam par les Américains sous la forme le fameux agent orange. On les trouve dans l’air - notamment produites par les incinérateurs de déchets, les incendies de forêts et les éruptions volcaniques - et dans certains aliments. Après un repas contenant une faible quantité de dioxine, il ne faut pas moins de huit ans pour éliminer complètement la dioxine !
Et vous fumez ? me demande M. Barouki. Dans la fumée vous retrouvez 50 cancérigènes, dont le benzopyrène, qui est aussi un polluant persistant. Ils sont censés être dégradés [éliminés par l'organisme grâce au mécanisme de l'apoptose, ndb] et éliminés par nos cellules mais parfois il y a un loupé, c’est le cancer. Alors forcément : à 20 cigarettes par jour pendant des années, on augmente le risque. C’est statistique ! »

Mais alors, c’est grave de la dioxine dans le corps, docteur ?
« Le corps est un incroyable "gestionnaire de crise". Le problème des polluants persistants, c’est que les cellules ne savent pas les dégrader. Une molécule toxique est habituellement reconnue par un récepteur à la surface de la cellule, ce qui entraîne de nombreux signaux à l’intérieur. Ces signaux parviennent jusqu’au noyau, où ils activent certains gènes afin de produire des enzymes capable de dégrader la toxine.
Seulement, pour la dioxine,  les gènes activés par le système de détection semblent ne pas avoir de lien direct avec sa dégradation. Fort heureusement, les choses sont bien faites : le corps est capable de s’adapter à court terme en transformant une exposition aiguë en une exposition chronique moins importante. La dioxine ne pouvant être éliminée, elle est stockée. Et au lieu de se trouver dans des tissus comme le cerveau, où ses effets auraient pu avoir des conséquences dangereuses, elle trouve place dans le tissu adipeux, les graisses, ce qui est plutôt "un moindre mal". »

Et quelle est la démarche d’un scientifique face à ce  type de questionnement ?
« Un chercheur en science, c’est celui qui va se poser des questions et essayer d’y répondre. Pour répondre à la question "comment ça marche ?, notre démarche est double : l’étude moléculaire consiste à détecter et comprendre la signalisation cellulaire (tout ce réseau d’envoi d’information d’une molécule à une autre pour induire une réponse). Tandis que l’étude clinique nous permet de valider nos résultats grâce à des tests effectués sur des groupes de personnes.
Pour revenir à notre dioxine, nous avions un résultat moléculaire : le stockage dans les cellules du tissu adipeux. L’étude clinique a porté sur un groupe de personnes obèses (environ 130 kg) stockant de la dioxine. La question était : est-ce que la perte de poids, et donc la diminution de la masse adipeuse, augmente la concentration de dioxine dans le sang, qui peut donc circuler librement dans le corps ? Les résultats ont montré que oui : les améliorations de santé dues à la perte de poids sont masquées par la libération de la dioxine dans le sang. On a également effectué en parallèle un travail expérimental sur des cultures cellulaires et sur des animaux. Ces différentes démarches nous ont amenés à une conclusion : la dioxine entraîne des inflammations (macrophages et lymphocyte) ainsi que des réaction du système immunitaire, et aggrave beaucoup de maladies. »

Comment traduisez-vous ces résultats en termes de santé publique ?
« La toxicologie nous permet de savoir ce qui est dangereux pour la santé et à quelle dose. Nous sommes donc amenés à être en lien avec le gouvernement pour fixer les interdictions d’utilisation de certaines molécules comme le PCB [un isolant électrique et conducteur thermique pratiquement ininflammable, ndb] ou les bisphénols, utilisés pour les biberons. Nous fixons aussi les doses journalières admissibles (DJA), qui représentent la quantité d'une substance qu'un individu moyen de 60 kg peut théoriquement ingérer quotidiennement sans risque pour la santé. »

Les gaz toxiques sortent en permanence des usines (photo : Ribarnica).

Et vous M. Barouki, qui êtes-vous ? Avez-vous toujours eu la fibre de chercheur ?
(rires suivis de quelques instants de réflexion)
« Oui, j'ai voulu faire de la recherche dès le lycée mais plutôt en sciences sociales, en histoire ou en politique ! Et puis, je me suis rendu compte en terminale que j’étais brillant en mathématiques, alors je me suis tourné vers les sciences.
Sur les conseils de mon oncle, pédiatre et chercheur reconnu, j’ai choisi les sciences biologiques où, disait-il, il restait le plus de choses à découvrir. Je suis donc venu en France apprendre la médecine et j’ai passé le concours de l’Ecole normale supérieure (ENS) en 2e année. Et puis j’ai décidé de me consacrer à la recherche et ai intégré le CNRS.  J'y ai côtoyé l'endocrinologie, la toxicologie, la génétique bactérienne... un tour d’horizon qui m’a permis d'appréhender différents aspects de la signalisation cellulaire. Aujourd’hui directeur de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), je dirige une unité qui s’intéresse aux effets des polluants de l’environnement sur la santé. La toxicologie est un domaine encore peu connu, où il y a une grande partie de fondamental mais aussi tant d’applications pratiques ! »

Pour vous qu’est-ce que  « être chercheur » ?
« Etre chercheur c’est participer à un mouvement qui découvre les connaissances de demain.  C’est très stimulant de penser qu’on participe à la construction d’un savoir scientifique. Bien sûr, il faut pouvoir supporter l’échec. Les hypothèses sont souvent fausses mais elles sont nécessaires pour trouver quelque chose, se poser d’autres questions, tâtonner et puis finalement toucher au but ! »

Eh bien je pense qu’après toutes ces explications, je n’ai qu’un conseil à donner : arrêtez de sniffer de la colle les gars, ça vous reste dans la peau !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bienvenue sur LPO et merci de votre participation. N'oubliez pas que le débat doit se faire dans la cordialité !