23 juillet 2013

L’autre Sénégal mal-aimé : la Casamance.


Ziguinchor, Sénégal - Le 12 juillet dernier ont été libérés les derniers otages retenus par le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), groupe rebelle de cette région du Sénégal.  Terrés dans la jungle profonde près de la frontière avec la Guinée, les rebelles retenaient prisonniers neuf démineurs de l’armée sénégalaise depuis plus de deux ans. Est-ce un signe du règlement prochain de la « crise casamançaise », conflit indépendantiste qui perdure depuis plus de trente ans ?

Hôte de nombreuses institutions internationales, groupes financiers et entreprises multinationales, le Sénégal, pays pratiquement dénué de toutes ressources naturelles, est internationalement favorisé pour sa stabilité politique. Coqueluche régionale des grandes puissances du G8 (principalement de la France et du Canada), le pays semble être le bénéficiaire rêvé des programmes internationaux d’aide au développement et de réformes structurelles en Afrique francophone. De Paris, Ottawa ou Washington, le message est clair : ce « bon élève de la démocratie » est un exemple pour tout Afrique de l’Ouest.

Mais à 450 kilomètres au sud de la capitale, de l’autre côté de la Gambie enclavée, la Casamance semble être en périphérie de la périphérie. À l’arrivée à Ziguinchor, difficile de croire qu’on se trouve toujours dans l’arrière-pays de Dakar. Minuscule bande de terre cloîtrée entre l’océan, la Gambie, la Guinée-Bissau et la brousse profonde, la région semble être la triste héritière des découpages coloniaux. Partagée au fil des traités entre le France et le Portugal, elle a été intégrée au Sénégal bien que virtuellement isolée du reste du pays par le fleuve Gambie, bordé par l’État souverain du même nom et inconfortable passage obligé entre Ziguinchor et Dakar. Aujourd’hui, la Casamance est la région instable du Sénégal, le pays stable sous-continent Africain. Les mouvements indépendantistes y sont encore nourris par l’idée que la région, économiquement anéantie, souffre de la domination du Nord.

Une réputation néfaste

Sous la rubrique « avertissement pour la Casamance », le site web du ministère des Affaires étrangères du Canada recommande d’éviter « tout voyage non-essentiel dans la région de la Casamance».  Idem pour le consulat français : « La persistance des attaques armées en Casamance oblige à la plus grande prudence lors des déplacements dans cette région. » Le site senegalaisement.com informe aussi les étrangers d’une situation « plus que jamais explosive » sur le territoire casamançais : « Fait nouveau, les troubles se sont étendus à toute la région. [...] Faire une mise à jour de l'état de la sécurité en Casamance est devenu impossible tant les actes de guerre sont nombreux. Car il s'agit d'actes de guerre et non de quelques voyous coupant les routes. » À Dakar, on vous racontera l’horreur des mines antipersonnel terrées dans le sol sablonneux de la brousse, ou encore les velléités des rebelles sans scrupules qui piègent occasionnellement les convois sur les routes. Même les collègues journalistes sénégalais ont semblé unanimes sur la question : la Casamance est une région dangereuse.

Sur place, pourtant, le discours est tout autre. « Vous voyez, il n’y a aucun danger ici ! », lance Henri, journaliste radio à Ziguinchor, « capitale » de Casamance s’il en est. Son opinion, curieusement partagée par la vaste majorité des casamançais rencontrés, est que l’idée d’une « crise casamançaise » est entretenue par la capitale, qui verrait d’un œil bienveillant la mise au rancart international de sa région mal-aimée. Abdou, artisan au marché de Ziguinchor, va plus loin : « c’est Dakar, influencé par St-Louis, Sally et Mbour, qui veulent tous les touristes. Alors que c’est en Casamance qu’il y a toutes les richesses ». Se plaignant du manque récurrent de touristes depuis quelques années, les artisans sont catégoriques : jaloux, les habitants du Nord salissent la réputation de la région par intérêt commercial.

Pour Jean Sibundo-Diatta, Président de l’Office de tourisme de la Casamance, cela ne fait aucun doute : la question est politique. « Il n’y a aucun danger en basse-Casamance ! », s’indigne-t-il. Derrière lui, le décor paradisiaque de la plage vierge de Diembéring, où seules quelques vaches assoupies profitent du coucher de soleil sur la mer. Une image qui jure avec celle d’une « zone de conflit » qui est véhiculée à l’extérieur du pays. Le trentenaire qui a toujours vécu dans la « crise casamançaise » explique un fait bien connu des habitants locaux : « la rébellion on ne la voit pas ici, mais aux frontières. Les touristes ne courent aucun danger ! »

Une rébellion toujours active

À Oussouye, capitale royale des Diolas, peuple localisé principalement dans cette région du Sénégal, on peut observer occasionnellement le passage des véhicules militaires en patrouille. Attablé au restaurant du village, Jean, le serveur, a bien voulu nous confier ses allégeances rebelles. « Ils sont partout, et viennent ici très souvent. Ce sont nos frères, nos pères, nos amis... », explique-t-il. Les raisons de ce soulèvement ? Les Casamançais sont systématiquement lésés au Sénégal, selon lui. « Même les majors du bac [les diplômés du secondaires ayant obtenu les meilleures notes, NDLR] sont mis au rancart de la liste scolaire, car ce sont les gens de Dakar qui corrigent les copies ». L’époque précoloniale revient rapidement sur la table lorsqu’il est question de l’indépendance. « Senghor [premier président sénégalais depuis l’indépendance] nous a trompé », explique Jean au détour : « la Casamance devait être un pays indépendant selon les textes [accords entre la France, le Sénégal et le Portugal]. Mais Senghor nous  les a caché. » À la bibliothèque de l’Université de Dakar se trouveraient des livres retraçant l’histoire du drapeau de la république de Casamance, son hymne national, et sa monnaie.

Un convoi militaire sénégalais près de la route de Cap Skirring, Casamance, le 10 juillet 2013 (© Maxime Mariage)

Pour Ousmane Karafa, conservateur du musée de Diembéring, en basse-Casamance, il est clair que les versions officielles des attaques rebelles sur les routes sont le pur produit de la propagande gouvernementale. « Ce sont des bandits, probablement des Wolofs [peuple majoritaire principalement au Nord du Sénégal, NDLR] qui coupent les routes. Ce ne sont pas des rebelles ! » Théorie du complot ou réalité ? Chose certaine, selon lui, tous les casamançais supportent les rebelles du MFDC. « Tous les villages financent les rebelles. Même les Diolas de Dakar ou d’Europe », croit-il, spécifiant qu’il est personnellement en faveur de l’arrêt de la guerre. Comme chez la plupart des Casamançais, toutefois, il ne fait pas de doutes pour lui que l’odieux du conflit incombe au gouvernement, accusé de faire volontairement traîner les négociations.

Les cicatrices de la colonisation

La pluie de l’hivernage se fait plus intense, perturbant l’horaire des rencontres déjà compromis par l’élasticité du temps africain. Au détour du chemin traversant les rizières, à bord d’un taxi de brousse, le slogan des forces sénégalaises peint sur un mur laisse perplexe. « On nous tue. On ne nous déshonore pas ». Cette région, moins dangereuse qu’annoncée, est-elle vraiment victime d’une campagne de dénigrement du Nord ? Il est vrai que depuis la crise en Casamance, la baisse du tourisme a surtout profité à Mbour ou Sally, destinations de la petite-côte qui connaissent une croissance effrénée depuis une dizaine d’années. Le ressentiment des Casamançais semble toutefois provenir d’encore plus loin, du temps où les Wolofs du Nord, mandatés par le colonisateur français, étaient installés en maîtres locaux dans les localités Diolas de ce qu’est aujourd’hui la Casamance.

Au croisement de la route de Cap Skirring, au bout de la route qui borde la « zone rouge » pour son activité rebelle, le son d’un sifflet de gendarme coupe court à la réflexion. Au virage, l’agent a remarqué dans la voiture la présence d’un « Toubab », groupe ethnique aisément reconnaissable dans ce pays par son européenne couleur de peau. Sous la pluie battante de l’hivernage, le taximen qui fait le voyage pour 8 000 francs CFA (16$, ou 12 euros) sort remettre un billet de 1000 francs à l’agent de l’État – cet État ici honni qui cherche justement à obtenir l’aval des populations locales dans sa lutte contre les rebelles. « Il faut payer, pour pas qu’il se mette à poser trop de question », siffle le chauffeur, amer.

3 commentaires:

  1. Bonjour Boris,
    J'ai beaucoup aimé ce texte. Il semble en effet qu'il est peu de volonté de régler ce conflit. J'ai personnellement vécu en Casamance durant les quatre plus belles années au cours des 30 dernières (1986-1990). J'y ai vu une sorte d'âge d'or du tourisme (la Petite-Côte - en particulier Mbour et ses environs - était assez détestable à l'époque). J'ai aussi le sentiment que le laisser-faire dans cette situation a gravement profité à la Petit-Côte, à St-Louis, bref au développement du Nord.
    Je ne sais jusqu'où il peu s'agir de mauvaise foi (ou d'une sorte de complot). Mais je sais que la Casamance que j'adore en souffre horriblement. Je sais aussi qu'une grande partie de la réputation d'accueil parfois un peu surfaite du pays lui vient de la présence de sa population du sud. Il faut vraiment que ce conflit trouve une issue.

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  2. Et voici un petit texte évoquant une retrouvaille avec Ziguinchor après 19 ans d'absence: http://www.jmcormier.com/attachments/001_Ziguinchor%20nostalgie.pdf

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    1. Bonjour Jean-Marc,
      J'ai lu votre texte avec grand intérêt. J'aurais bien aimé avoir comme vous le privilège de pouvoir comparer Ziguinchor avec ce qu'était cette ville il y a 20 ans. Mais en marchant dans ses rues on peut aisément constater toute la gloire de ce qu'étais cette ville, et de tout le tord que peut faire vingt ans de stagnation économique. Aussi, je suis bien d'accord avec vous concernant la réputation du "pays de la Terenga", qui prend tout son sens quand on arrive en Casamance!

      Si ça vous intéresse, j'ai publié quelques photos sur mon blogue personnel (commenté en anglais) : http://rebeuss.blogspot.com/2013/07/my-trip-to-casamance.html

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