4 décembre 2012

Le Mexique, nouvel eldorado automobile ?


Les journaux français, européens, voire occidentaux, ont depuis plusieurs mois pris la triste habitude d’annoncer une énième fermeture d’usine en Europe. De son côté, le Ministre du Redressement Productif, M. Arnaud Montebourg, éléphanteau du Parti Socialiste dont l’ambition est d’en devenir un éléphant, se prend de plus en plus les pieds dans le tapis social face à l’envergure du défi que son ministère doit relever. Enfin, les salariés des usines d’automobiles en France, qui selon les statistiques ont voté massivement à gauche lors du dernier scrutin présidentiel, se demandent aujourd’hui comment « leur » Président de la République pourra résoudre la crise terrible que le secteur est en train d’affronter. Ce marasme les touche directement, d’autant plus qu’il s’agit d’un domaine en pleine mutation qui fait face à la prise de conscience écologique, laquelle remodèle totalement les cartes habituelles. Cependant, les mutations qui acculent les usines européennes ne sont autres que celles de ce siècle, c'est-à-dire la mondialisation et la globalisation de l’économie. Comment résister face aux salaires minimes des Chinois, des Européens de l’Est et même des Mexicains ?

Alain Bashung et quatre anneaux.

Car si un pays, pour reprendre la chanson d’Alain Bashung, ne connaît pas la crise, c’est bien du Mexique dont il s’agit, et ce grâce au secteur automobile. En effet, en réponse aux nouvelles quotidiennes des radios, journaux ou autres télévisions avertissant de fermetures d’usines en France, les Mexicains, quant à eux, ont pu prendre leur petit-déjeuner en écoutant début septembre les journalistes annoncer l’ouverture prochaine d’une usine de la firme allemande Audi dans l’état de Puebla. La marque aux quatre anneaux va de fait investir entre 1,3 milliard de dollars et 2 milliards de dollars pour construire cet établissement monumental. La construction commencera en 2013 pour se terminer en 2016, avant d’éventuellement se lancer dans de nouvelles infrastructures quelques décennies plus tard.

L’objectif de la marque est tout simplement de produire près de 150 000 voitures par an. Dont en exclusivité le nouveau 4x4 Q5, monstre de technologie et robustesse, qui comptera sur la touch allemande de qualité et de luxe dont Audi, constructeur d’apparat, peut se vanter. De son côté, le groupe Volkswagen, propriétaire d’Audi, continue son histoire d’amour avec le Mexique : les premières voitures du pays, qui restent encore populaires en ce moment, ne sont autres que les Vochos, plus connues sous le nom de « Coccinelle » dans l’hexagone. En acceptant la mise en place de l’usine d’Audi en Amérique Centrale, le groupe de Wolfsburg a donc récompensé des Mexicains avec qui ils travaillent depuis longtemps, tout en leur faisant confiance pour l’installation d’un constructeur de grand luxe, une première en Amérique Latine.

Maquiladoras et taxis Nissan.

La nouvelle ne semble pourtant pas forcément faire sensation au pays du Nopal et de l’Aigle, où le Président alors en exercice, M. Felipe Calderón, s’était juste contenté d’évoquer la réussite du gouverneur de l’état de Puebla, M. Rafael Valle Rosas, du même parti que le sien. Les Mexicains ont en effet l’habitude de récupérer les bénéfices des investissements étrangers du secteur automobile et n’ont donc pas été très surpris de la nouvelle. 

L’exemple le plus frappant de cette réussite est l’installation de la firme de Nissan à Aguascalientes. C’est en effet dans les années 1980 que l’entreprise japonaise a décidé de s’implanter au Mexique, et donc plus précisément dans la capitale de l’état éponyme, au centre de la République mexicaine. La décennie 80 rime au Mexique avec l’essor des célèbres Maquiladoras, ces usines qui assemblent les produits américains, européens et même asiatiques. Toutefois, il faut noter la différence de politique mise en place par les Japonais dans ces installations d’usines. En effet, contrairement aux firmes américaines installées dans les villes frontières comme Ciudad Juarez ou Tijuana, les Japonais ont privilégié les Etats offrant des garanties de développement important, en misant sur l’éducation notamment. Et c’est avec les débuts tonitruants de l’usine destinée à fabriquer le modèle Sentra et Versa que la ville d’Aguascalientes s’est développée, la ville passant d’environ 300 000 habitants en 1980 à près de 800 000 aujourd’hui. Et la fabrication de la troisième étape du développement de l’usine Nissan en ce moment même confirme l’intérêt mutuel entre les deux parties : la ville réserve par exemple la quasi exclusivité du marché des taxis de l’agglomération à la firme contre une embauche d’employés locaux toujours plus forte de la part de l’entreprise japonaise.

Grâce aux efforts de la municipalité et aux résultats excellents de Nissan avec cette usine, qui est l’une des cinq usines de production automobile les plus importantes du continent latino-américain, les autres marques ont réellement vu dans l’installation au Mexique une des bases essentielles pour couvrir ce marché. Et cela a pour résultat les statistiques suivantes : le Mexique est devenu cette année le 8ème producteur de voiture dans le monde, derrière les ogres Chinois, Américains, Brésiliens ou Indiens notamment, avec un chiffre impressionnant de près de 3 millions de voitures produites par an. Parmi ces résultats, les deux Etats les plus concernés sont les Etats déjà mentionnés d’Aguascalientes et de Puebla avec près de 40% de la production concentrée par eux deux.

Les célèbres Vochos  symboles des taxis de la capitale du pays, Mexico D.F.

De l'importance de la géographie et des traités de coopération économique.

Face à une telle situation, on en vient à se demander pourquoi les marques de voitures sont si intéressées par une installation dans ce pays. Il faut tout d’abord étudier la situation géographique du Mexique. Ce long pays est en effet bordé de deux océans, le Pacifique et l’Atlantique, tout en offrant une facilité de communication grâce à un réseau routier plutôt bon. Les distributeurs peuvent donc profiter d’une interface avec le monde entier pour des coûts abordables et jouissent de la possibilité d’une traversée du pays dans la longueur est-ouest beaucoup plus rapide que ne le serait celle des États-Unis par exemple.

Par ailleurs, le Mexique a traditionnellement été l’habituelle frontière entre les mondes nord-américain et sud-américain et permet donc de communiquer avec deux marchés porteurs. Le marché du nord du continent tout d’abord est un marché crucial pour les firmes de voitures qui comptent sur la dépendance des Américains et des Canadiens envers les automobiles pour y lancer leurs premiers modèles. La tradition automobile de ces deux pays n’est plus à illustrer tant les marques et types venant de ces lieux sont mythiques. Mais avec l’installation au Mexique, les entreprises bénéficient d’une main d’œuvre abordable conjuguée à une proximité géographique permettant de baisser les coûts de transports. Enfin, les accords de libres échanges conclus entre les trois pays d’Amérique du Nord, à commencer par l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), signé en 1994, permettent d’intégrer le Mexique dans le système globale de l’économie nord-américaine en excluant par exemple certaines taxes sur l’expédition d’un certain nombre de produits manufacturés, dont les véhicules.

Vue aérienne de la gigantesque usine Nissan II d’Aguascalientes
(seulement la seconde génération): une ville dans la ville.

Points noirs et marché mexicain.

Parallèlement au monde du nord du continent, le sud latino-américain est, lui,  sur la voie du développement, à l’image du Mexique ou encore du Brésil, et qui voit donc une certaine classe moyenne émerger et ainsi des acheteurs potentiels de voitures. Par ailleurs, la nouvelle stabilité dont fait preuve le continent profite au marché, malgré d’évidentes zones de tensions qui n’empêchent pas les businessmen d’y écouler ou même d’y fabriquer leurs marchandises. Les points noirs comme on en trouve au Mexique ou en Colombie sont en effet surtout dûs à des luttes entre commerçants de produits illégaux qui ne s’attaquent guère à la grande production, se concentrant sur leurs affaires personnelles. Il n’est pas utile pour eux de se lancer dans des opérations de grand banditisme qui pourraient engendrer rapidement des répercussions venues des politiques tandis que ceux-ci semblent, pour le moment, plutôt attentifs et peu concernés.

Par ailleurs, le développement de l’éducation du pays est significatif et intéresse bien entendu les firmes automobiles qui n’ont plus forcément besoin, grâce à cela, d’y envoyer du Japon, d’Europe ou des États-Unis des familles entières d’ingénieurs ou de commerciaux, choses difficiles à réaliser car pour justifier ces mutations les salaires sont souvent doublés voir triplés. Enfin, le marché mexicain est lui-même un marché en essor et, bien que l’objectif premier des firmes automobiles ne soit pas forcément la conquête du Mexique, le fait d’y posséder des usines permet d’y poser les premières pierres d’un édifice qui ne ferait que grandir dans le futur.

Partie de billard pour attirer les investisseurs automobiles.

C’est donc ici le point important de ce développement : l’intérêt mutuel qu’ont les protagonistes pour la mise en place de ces usines automobiles. Comme une partie de billard, nous pourrions même dire que c’est un coup à 3 bandes. Les firmes y trouvent leur bonheur pour les raisons évoquées, comme les politiciens locaux qui sont ainsi peu concernés par les effets du chômage et de la conjoncture actuelle, et c’est enfin la population elle-même qui en profite avec les nouvelles offres d’emplois et tous les points positifs qui en découlent. Les tentatives désespérées du Brésil, de la Colombie, du Panama et du Costa-Rica pour attirer Audi qui a finalement choisi le Mexique le confirment, tout comme les luttes à l’intérieur même du pays, les États de Guanajuato et d’Hidalgo ayant également tenté leur chance pour la mise en place de la firme de Wolfsburg dans leur propre territoire, firme qui a finalement privilégié l’offre de l’État de Puebla.

20 000 emplois directs et bien plus indirectement.

Plusieurs raisons expliquent cet intérêt des Etats mexicains pour héberger Audi. Tout d’abord, la stabilité de l’économie allemande a tenté les politiciens locaux. En effet, tout comme la stabilité de l’économie japonaise pour Nissan, l’Allemagne est l’une des pointes de l’iceberg qui émergent encore des eaux glaciales de la crise. Et ce n’est par exemple pas un hasard de voir la ville d’Aguascalientes prospérer, surfant sur la vague économique importante générée par Nissan. Le nombre d’emplois découlant directement de l’usine d’Aguascalientes est presque de 30 000, mais les emplois indirects sont inimaginables dans la ville. Des professeurs qui enseignent dans des universités ou écoles de plus en plus remplies en raison de l’exode des travailleurs attirés par la ville aux restaurateurs pouvant compter sur de nouvelles visites dans leurs établissements, en passant par les balayeurs nettoyant les locaux de la firme ou des lieux s’étant développés avec l’impulsion de celle-ci, ces métiers sont de toutes sortes.. Alors qu’il parlait de l’installation d’Audio, le président Felipe Calderón avait annoncé le chiffre de 20 000 emplois permanents créés une fois la construction terminée de l’usine, mais il a aussi avancé un numéro d’emplois indirects multipliés par 5 grâce à l’arrivée de la marque, et cela semble cohérent.

L’importance des investissements desdites firmes dans les établissements scolaires est enfin la dernière raison de cette volonté des collectivités locales mexicaines pour attirer ces usines. Les chiffres de l’État d’Aguascalientes confirment que Nissan recrute ses nouveaux employés directement sur place, près de 30% venant d’Universités Technologiques publiques, les autres 40% arrivant eux d’Universités privées de la ville et seulement les 30% restant venant de l’extérieur et le plus souvent du pays même. On peut donc affirmer que les flux monétaires investis dans les universités locales par les marques automobiles aident au développement de la formation des professeurs, à la création d’infrastructures de pointe et à de multiples autres projet. C’est donc, et contrairement à d’autres investissements délocalisés comme les call-centers par exemple, une délocalisation totalement positive pour le Mexique qui bénéficie d’un flux d’emplois nouveaux et d’investissements importants et réguliers lui permettant de marcher à grands pas sur les traces de pays actuels dit du « premier monde » qui eux doivent faire face aux violentes vagues venant de la crise économique présente.

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