Le football est quelque chose de sérieux. Le football est quelque chose d’important. Le football est une passion personnelle qui lors des matchs des sélections nationales devient un fanatisme citoyen. Il est certain qu’aucun autre sport n’arrive au tiers de la popularité du football sur le globe. Dans toutes les régions du monde il est possible de voir des personnes portant les maillots de Messi ou Cristiano Ronaldo, les deux apôtres actuels de la religion du ballon. Si la métaphore filée entre le sport et la religion devait se poursuivre, on pourrait évoquer le Dieu-Ballon, les arbitres comme exégètes du jeu, les entraîneurs comme des prêcheurs et les supporters comme les fidèles de cette grande paroisse mondiale. Que dire alors des stades, ces lieux magiques, maisons d’un jeu accessible et si pur. Ces "colisées" modernes accueillant les matchs portent en général des noms éloquents, proche du biblique ou du sentiment nationaliste, du Parc des Prince de Paris, au Stade de France de Saint-Denis, en passant par le Estadio de la Luz[1] de Lisbonne ou par le stade Houphouët-Boigny d’Abidjan[2]. Permettant de rassembler un pays divisé[3], de conforter une dictature[4], ou même d’être à l’origine de mouvements de protestations importants[5], le sport de Pelé[6] voit donc dans les matchs des sélections nationales une touche de sainteté, et une sorte de chemin de croix qui débouche tous les 4 ans sur la Coupe du Monde, équivalant à un pèlerinage sportif et universel.
Un Lone Star State hispanophile
C’est, en effet, lors de ces
moments clés de football que les pays braquent tous ensemble leur regard vers,
celui d’une victoire de leur équipe nationale. Il est donc logique de voir les
matchs joués à domicile être joués dans le pays hôte. Or depuis quelques mois,
le Tri[7] mexicain a pris l’habitude de jouer ses matchs aux États-Unis. Il faut bien
avouer aux lecteurs que la rédaction de la Plume et l’Objectif s’est trouvée
dans un premier temps surprise face à ce fait très étrange , mais si l’on se met à
étudier la question, il est possible d’expliquer ce fait ahurissant. Tout
d’abord les matchs joués aux États-Unis par la sélection du « Chepo »
de la Torre[8] ont pris place dans les villes du sud du pays de l’Oncle Sam, c'est-à-dire
Dallas ou encore Houston, toutes deux au Texas. Or le Texas est un des Etats
américains accueillant le plus de ressortissants mexicains : environ 38 %
du Lone Star State ont pour
langue maternelle l’espagnol. Il suffit de s’arrêter dans les grands hubs que
sont les aéroports de Dallas ou de Houston pour se rendre compte du phénomène. Ainsi
les villes américaines hôtes des matchs à domicile de la sélection mexicaine
sont-elles très attractives grâce à l’hispanophilie
des lieux. Mais cela n’explique toutefois pas l’évènement : les Turcs ne jouent
par exemple pas leurs matchs à domicile à Berlin, l’Irlande ne reçoit pas ses
adversaires à Boston[9], et ainsi de suite. C’est
donc vers une raison plus pragmatique qu’il faut se tourner, et comme souvent
c’est l’argent qui explique tout.
Le BBVA Compass Stadium de Houston ou l’Estadio Azteca de México ?
L’argent est donc le vrai facteur
de ce déplacement ridicule. Et qui parle d’argent parle souvent de médias. Il
convient, effectivement, de rappeler le pouvoir tout puissant qu’ont les
télévisions dans le pays du Mexique : l’exemple de l’attitude relativement
louche des médias lors de la dernière élection présidentielle du 1er
juillet 2012 peut le confirmer[10]. Autre point parallèle à
prendre en compte, la faible opposition dont le Mexique dispose lors des
éliminatoires du mondial brésilien de 2014. La sélection verte et blanche joue,
en effet, dans le groupe composé des nations de l’Amérique du Nord, des
Caraïbes ou de l’Amérique Centrale, c'est-à-dire contre des équipes franchement
archaïques, les principaux dangers étant les États-Unis ou le Costa-Rica. C’est
dire le niveau des confrontations. Logiquement la spectacle ne peut pas suivre avec des rencontres de si
faible niveau et il est ainsi difficile à pousser les supporters à payer pour
assister aux matchs. Face à cela il est donc bien difficile pour la
sélection mexicaine d’attirer de nombreux spectateurs dans des stades souvent
immenses et qui paraissent bien vides pour les retransmissions télévisées.
D’où l’idée de déplacer les matchs à domicile au Texas, où les Mexicains natifs,
eux, sont prêts à remplir les stades pour se rapprocher des leurs idoles et
pour rester proches de leur pays d’origine. Le choix des États-Unis est donc
parfait pour le Tri : il n’y a pas de décalage horaire avec
le pays, les télévisions y sont déjà installées car la communauté mexicaine est
constamment branchée sur le câble pour suivre les nouvelles du pays, et les
stades de soccer américains, moins
grands, sont relativement faciles à combler[11]. Quant aux matchs
importants, eux, ils se passent au Mexique. Pourquoi cette incohérence ? Tout
simplement parce que ces évènements plus attractifs permettent de garnir des
stades neufs comme el Estadio Corona de
Torreon el Estadio Omnilife de
Guadalajara ou encore le mythique Estadio
Azteca, nid de l’équipe des aigles de l’América de México, lieu de la fameuse
Main de Dieu et chevauchée fantastique de Maradona[12], et un des stades
les plus grands du monde. L’exemple illustrant parfaitement cela est le match
d’août dernier entre les États-Unis et le Mexique (le Clasico, comme l’appellent les Mexicains), ravivant toutes les
rivalités des deux nations autour d’un ballon. Cette partie a donc eu lieu dans
le stade Azteca qui a fait le plein
pour l’évènement, avec près de 104 000 spectateurs.
Le stade "BBVA Compass" de Houston à la fin du match du Mexique-Guyana, au moment où les joueurs s'échangent les maillots |
Coca-Cola et hymnes nationaux
Les pressions des télévisions ont
donc été telles que la fédération mexicaine, qui bien sûr n’osera pas le
reconnaître, a pris la décision de « délocaliser » les matchs contre
les petites équipes aux États-Unis afin de remplir les
« cathédrales » du football lors des retransmissions. Mais cela donne
finalement lieu à des situations ridicules pour le spectateur qui,
regardant par exemple le match du 12 octobre 2012 entre le Mexique et la Guyana,
a pu voir plusieurs ironies. Parlons d’abord des hymnes nationaux, il n’y a pas
beaucoup plus étrange de chanter son hymne national dans un match sensé être
« à la maison » dans un pays qui n’est pas le sien. Ensuite c’est
surtout concernant les panneaux publicitaires que le rire est permis. On a pu
également s’étonner des publicités Coca-Cola. Celles-ci sont certes
omniprésentes lors des compétitions internationales mais elles scandaient cette
fois « Coca-Cola, Disfrutalo » en espagnol alors que le match avait lieu… aux
Etats-Unis. Enfin c’est la promotion dans ces mêmes panneaux publicitaires de
l’équipe des Dynamo de Houston, qui
fait partie du championnat de la MLS, le championnat nord-américain, alors que
les équipes mexicaines auraient dû avoir une diffusion plus privilégiée. L’incohérence
est totale.
Chicharito Hernández l’autobus
Avec ce point il est également
possible de comprendre peut-être pourquoi le Mexique a toujours refusé de
prendre part aux matchs sud-américains de qualifications aux coupes du monde.
C’est tout simplement parce que le niveau de jeu des Sud-Américains y est plus
élevé et donc les possibilités de voir le Tri
accéder aux phases finales diminueraient, au grand désespoir des télévisions
mexicaines. Alors que le Mexique jouant, du coup, dans la région Amérique du
nord, est une « superpuissance » des éliminatoires. Les mauvaises
langues footballistiques mexicaines sont même allées jusqu’à insinuer que les chaînes
qui retransmettaient le match avaient influencé la composition de l’équipe alignée
par le sélectionneur mexicain lors du match contre la Guyana gagné 5 à 0 par
les Mexicains. En effet Javier « le
Petit Pois » (Chicharito) Hernández, tête de gondole et figure de proue
du navire mexicain, jouant dans le club mondialement connu de Manchester United.
Ce joueur, adulé par tout un peuple et connu par la planète football entière,
traversait une période difficile, perdant du temps de jeu dans son club et
enchaînant les performances stériles avec les Diables Rouges de Manchester[13]. Néanmoins de la Torre,
le sélectionneur, a décidé lors du match contre la Guyana d’aligner le joueur
de 24 ans du début à la fin du match. Malgré un but, la prestation du joueur
originaire de Guadalajara a été
pitoyable[14],
les commentateurs allant même à le comparer avec un autobus mexicain perdu dans
le trafic de la capitale (ce qui, croyez-moi, n’est vraiment pas très flatteur).
Connaissant la piètre forme de son joueur, l’entraîneur l’aurait malgré tout
aligné pour attirer les téléspectateurs, qui adulent tous la star du pays, et
cela sous les pressions des chaînes de télévisions. Simple spéculation ou réalité,
difficile d’être catégorique.
Le Yankee Stadium, stade de baseball avec des buts pour le match amical Chelsea-PSG (juillet 2012)
Un Yankee Stadium avec des buts
Toujours est-il que le football
est bel et bien entré dans l’air de la mondialisation, pour le meilleur, comme
pour le pire. Les clubs deviennent des entreprises d’une puissance financière
et persuasive énorme, tels des porte-paroles du pays à l’étranger. Les firmes
du Real Madrid, de Liverpool ou du Bayern Munich sont mieux connus sur le globe
que les dirigeants de leurs pays respectifs[15]. Or cette idée d’exporter
des matchs commence à se répandre apportant avec elle son lot de problématiques.
Le dernier match amical entre Chelsea et le Paris Saint-Germain, le 23 juillet 2012[16], s’est par
exemple déroulé dans le Yankee Stadium de New York, stade de baseball qui avait
mis des buts pour l’évènement mais qui s’est retrouvé totalement vide… Une mauvaise
image pour un sport qui se veut si populaire mais dont la puissance financière transforme petit à petit les
fondamentaux, à tel point qu’une équipe nationale comme le Mexique,
appartenant par les impôts à chacun des citoyens, préfère choisir de jouer ses
matchs à domicile aux États-Unis plutôt que sur ses propres terres.
[1] Littéralement le Stade de la Lumière, nom également utilisé
par le club de Sunderland, en Angleterre avec son Stadium of Light
[2] Nom du leader ivoirien de l’indépendance acquise en 1960 et du
premier président du pays
[3] La victoire de la RFA lors du mondial 1990 en Italie a été suivie
par des millions de fans de la RDA et le pays a fini par se réunir
politiquement en octobre de la même année
[4] Benito Mussolini s’est par exemple beaucoup servi des victoires en
Coupe du Monde de la Squadra Azzura
lors des mondiaux de 1934 et 1938 pour asseoir encore plus son pouvoir. Et que
dire de l’Amérique Latine où Pinochet a utilisé des victoires du Chili lors de
sa « présidence » pour des fins politiques et où le pouvoir des
généraux argentins s’est amplement aidé de la victoire lors du mondial 1978
dans leur propre pays pour amplifier sa propagande et ses assassinats
politiques dans un climat de liesse sportive.
[5] Les émeutes meurtrières dans le stade de Port Saïd en Égypte
constituent un moment charnière pour l’éviction de Moubarrak par exemple. Par
ailleurs, le dernier euro 2012, en Ukraine, a permis au mouvement féministe dénonçant les
abus de discrimination sexuelle dans le pays de sortir de l’ombre face aux
caméras du monde entier diffusant les matchs de la compétition.
[6] Le Roi Pelé, professionnel
de 1956 à 1977 est considéré comme le meilleur joueur de l’histoire du
football, étant par exemple le seul footballeur à avoir gagné 3 coupes du monde
avec le Brésil (1958, 1962 et 1970)
[7] El Tri est le surnom de l’équipe de football
mexicaine, diminutif du mot Tricolor,
évoquant le drapeau du pays.
[9] Berlin est traditionnellement assimilé à la troisième ville de
Turquie, après Istanbul et Ankara et Boston est la ville qui a le plus de
personnes d’origines irlandaises dans le monde.
[10] Les deux chaînes les plus importants, TV AZTECA et TELEVISA ont
été accusés d’avoir soutenu « plus que la normale » le candidat du
PRI et futur vainqueur Enrique Peña Nieto, déclenchant un mouvement de
protestation de la part des étudiants de Mexico nommé YOSOY132 en référence à
une assemblée dans une université qui avait « chahuté » le candidat
du PRI et qui avait été injustement dénigré par les deux chaînes.
[11] Le BBVA Compass Stadium de l’équipe de soccer de Houston, les
Houston Dynamo est un stade à la capacité de seulement 22.000 places, d’où la
facilité de combler le lieu avec les Mexicains vivant au Texas.
[12] Maradona le 22 juin 1986
dans le Stade Azteca a marqué un but
de la main contre l’Angleterre (2-1) puis l’a commenté en le qualifiant de « main
de dieu » après le match. Il a aussi marqué un des buts les plus célèbres
du football après une chevauchée fantastique de près de 40 mètres.
[13] Le début de la saison
2012-2013 a, en effet, été problématique pour Chicharito Hernández qui a fait
face à la concurrence féroce de Robin Van Persie, nouveau joueur de Manchester
United et qui a affronté plusieurs blessures l’empêchant d’enchaîner les
matchs. Néanmoins le joueur semble être de retour, il vient de marquer un triplé
par exemple le 10 novembre dernier avec son club pour la victoire de Manchester
United 3 à 2 sur le terrain d’Aston Villa.
[14] Chicharito a notamment
loupé un pénalty ainsi que près de 8 occasions franches de marquer, son but,
lui, est surtout dû à une erreur du gardien adverse.
[15] Le club du FC Barcelone, du Real Madrid ou de Manchester United
ont eux trois plus de 30 millions de fans sur facebook, près de la moitié de la
population totale de la France.
[16] Le match entre le PSG et
Chelsea s’est terminé par un score nul 1-1, le brésilien Nenê ayant ouvert le
score pour les Franciliens, contre une égalisation du jeune Piazón pour les blues londoniens.
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