13 novembre 2012

Quand les délocalisations touchent aussi le football.


Le football est quelque chose de sérieux. Le football est quelque chose d’important. Le football est une passion personnelle qui lors des matchs des sélections nationales devient un fanatisme citoyen. Il est certain qu’aucun autre sport n’arrive au tiers de la popularité du football sur le globe. Dans toutes les régions du monde il est possible de voir des personnes portant les maillots de Messi ou Cristiano Ronaldo, les deux apôtres actuels de la religion du ballon. Si la métaphore filée entre le sport et la religion devait se poursuivre, on pourrait évoquer le Dieu-Ballon, les arbitres comme exégètes du jeu, les entraîneurs comme des prêcheurs et les supporters comme les fidèles de cette grande paroisse mondiale. Que dire alors des stades, ces lieux magiques, maisons d’un jeu accessible et si pur. Ces "colisées" modernes accueillant les matchs portent en général des noms éloquents, proche du biblique ou du sentiment nationaliste, du Parc des Prince de Paris, au Stade de France de Saint-Denis, en passant par le Estadio de la Luz[1] de Lisbonne ou par le stade Houphouët-Boigny d’Abidjan[2]. Permettant de rassembler un pays divisé[3], de conforter une dictature[4], ou même d’être à l’origine de mouvements de protestations importants[5], le sport de Pelé[6] voit donc dans les matchs des sélections nationales une touche de sainteté, et une sorte de chemin de croix qui débouche tous les 4 ans sur la Coupe du Monde, équivalant à un pèlerinage sportif et universel.

Un Lone Star State hispanophile

C’est, en effet, lors de ces moments clés de football que les pays braquent tous ensemble leur regard vers, celui d’une victoire de leur équipe nationale. Il est donc logique de voir les matchs joués à domicile être joués dans le pays hôte. Or depuis quelques mois, le Tri[7] mexicain a pris l’habitude de jouer ses matchs aux États-Unis. Il faut bien avouer aux lecteurs que la rédaction de la Plume et l’Objectif s’est trouvée dans un premier temps surprise face à ce fait très étrange , mais si l’on se met à étudier la question, il est possible d’expliquer ce fait ahurissant. Tout d’abord les matchs joués aux États-Unis par la sélection du « Chepo » de la Torre[8] ont pris place dans les villes du sud du pays de l’Oncle Sam, c'est-à-dire Dallas ou encore Houston, toutes deux au Texas. Or le Texas est un des Etats américains accueillant le plus de ressortissants mexicains : environ 38 % du Lone Star State ont pour langue maternelle l’espagnol. Il suffit de s’arrêter dans les grands hubs que sont les aéroports de Dallas ou de Houston pour se rendre compte du phénomène. Ainsi les villes américaines hôtes des matchs à domicile de la sélection mexicaine sont-elles très attractives grâce à l’hispanophilie des lieux. Mais cela n’explique toutefois pas l’évènement : les Turcs ne jouent par exemple pas leurs matchs à domicile à Berlin, l’Irlande ne reçoit pas ses adversaires à Boston[9], et ainsi de suite. C’est donc vers une raison plus pragmatique qu’il faut se tourner, et comme souvent c’est l’argent qui explique tout.

Le BBVA Compass Stadium de Houston ou l’Estadio Azteca de México ?

L’argent est donc le vrai facteur de ce déplacement ridicule. Et qui parle d’argent parle souvent de médias. Il convient, effectivement, de rappeler le pouvoir tout puissant qu’ont les télévisions dans le pays du Mexique : l’exemple de l’attitude relativement louche des médias lors de la dernière élection présidentielle du 1er juillet 2012 peut le confirmer[10]. Autre point parallèle à prendre en compte, la faible opposition dont le Mexique dispose lors des éliminatoires du mondial brésilien de 2014. La sélection verte et blanche joue, en effet, dans le groupe composé des nations de l’Amérique du Nord, des Caraïbes ou de l’Amérique Centrale, c'est-à-dire contre des équipes franchement archaïques, les principaux dangers étant les États-Unis ou le Costa-Rica. C’est dire le niveau des confrontations. Logiquement la spectacle ne peut pas suivre avec des rencontres de si faible niveau et il est ainsi difficile à pousser les supporters à payer pour assister aux matchs. Face à cela il est donc bien difficile pour la sélection mexicaine d’attirer de nombreux spectateurs dans des stades souvent immenses et qui paraissent bien vides pour les retransmissions télévisées. D’où l’idée de déplacer les matchs à domicile au Texas, où les Mexicains natifs, eux, sont prêts à remplir les stades pour se rapprocher des leurs idoles et pour rester proches de leur pays d’origine. Le choix des États-Unis est donc parfait pour le Tri : il n’y a pas de décalage horaire avec le pays, les télévisions y sont déjà installées car la communauté mexicaine est constamment branchée sur le câble pour suivre les nouvelles du pays, et les stades de soccer américains, moins grands, sont relativement faciles à combler[11]. Quant aux matchs importants, eux, ils se passent au Mexique. Pourquoi cette incohérence ? Tout simplement parce que ces évènements plus attractifs permettent de garnir des stades neufs comme el Estadio Corona de Torreon el Estadio Omnilife de Guadalajara ou encore le mythique Estadio Azteca, nid de l’équipe des aigles de l’América de México, lieu de la fameuse Main de Dieu et chevauchée fantastique de Maradona[12], et un des stades les plus grands du monde. L’exemple illustrant parfaitement cela est le match d’août dernier entre les États-Unis et le Mexique (le Clasico, comme l’appellent les Mexicains), ravivant toutes les rivalités des deux nations autour d’un ballon. Cette partie a donc eu lieu dans le stade Azteca qui a fait le plein pour l’évènement, avec près de 104 000 spectateurs.


Le stade "BBVA Compass" de Houston à la fin du match du Mexique-Guyana, au moment où les joueurs s'échangent les maillots


Coca-Cola et hymnes nationaux

Les pressions des télévisions ont donc été telles que la fédération mexicaine, qui bien sûr n’osera pas le reconnaître, a pris la décision de « délocaliser » les matchs contre les petites équipes aux États-Unis afin de remplir les « cathédrales » du football lors des retransmissions. Mais cela donne finalement lieu à des situations ridicules pour le spectateur qui, regardant par exemple le match du 12 octobre 2012 entre le Mexique et la Guyana, a pu voir plusieurs ironies. Parlons d’abord des hymnes nationaux, il n’y a pas beaucoup plus étrange de chanter son hymne national dans un match sensé être « à la maison » dans un pays qui n’est pas le sien. Ensuite c’est surtout concernant les panneaux publicitaires que le rire est permis. On a pu également s’étonner des publicités Coca-Cola. Celles-ci sont certes omniprésentes lors des compétitions internationales mais elles scandaient cette fois « Coca-Cola, Disfrutalo » en espagnol alors que le match avait lieu… aux Etats-Unis. Enfin c’est la promotion dans ces mêmes panneaux publicitaires de l’équipe des Dynamo de Houston, qui fait partie du championnat de la MLS, le championnat nord-américain, alors que les équipes mexicaines auraient dû avoir une diffusion plus privilégiée. L’incohérence est totale.

Chicharito Hernández l’autobus

Avec ce point il est également possible de comprendre peut-être pourquoi le Mexique a toujours refusé de prendre part aux matchs sud-américains de qualifications aux coupes du monde. C’est tout simplement parce que le niveau de jeu des Sud-Américains y est plus élevé et donc les possibilités de voir le Tri accéder aux phases finales diminueraient, au grand désespoir des télévisions mexicaines. Alors que le Mexique jouant, du coup, dans la région Amérique du nord, est une « superpuissance » des éliminatoires. Les mauvaises langues footballistiques mexicaines sont même allées jusqu’à insinuer que les chaînes qui retransmettaient le match avaient influencé la composition de l’équipe alignée par le sélectionneur mexicain lors du match contre la Guyana gagné 5 à 0 par les Mexicains. En effet Javier « le Petit Pois » (Chicharito) Hernández, tête de gondole et figure de proue du navire mexicain, jouant dans le club mondialement connu de Manchester United. Ce joueur, adulé par tout un peuple et connu par la planète football entière, traversait une période difficile, perdant du temps de jeu dans son club et enchaînant les performances stériles avec les Diables Rouges de Manchester[13]. Néanmoins de la Torre, le sélectionneur, a décidé lors du match contre la Guyana d’aligner le joueur de 24 ans du début à la fin du match. Malgré un but, la prestation du joueur originaire de Guadalajara a été pitoyable[14], les commentateurs allant même à le comparer avec un autobus mexicain perdu dans le trafic de la capitale (ce qui, croyez-moi, n’est vraiment pas très flatteur). Connaissant la piètre forme de son joueur, l’entraîneur l’aurait malgré tout aligné pour attirer les téléspectateurs, qui adulent tous la star du pays, et cela sous les pressions des chaînes de télévisions. Simple spéculation ou réalité, difficile d’être catégorique.


Le Yankee Stadium, stade de baseball avec des buts pour le match amical Chelsea-PSG (juillet 2012)

Un Yankee Stadium avec des buts

Toujours est-il que le football est bel et bien entré dans l’air de la mondialisation, pour le meilleur, comme pour le pire. Les clubs deviennent des entreprises d’une puissance financière et persuasive énorme, tels des porte-paroles du pays à l’étranger. Les firmes du Real Madrid, de Liverpool ou du Bayern Munich sont mieux connus sur le globe que les dirigeants de leurs pays respectifs[15]. Or cette idée d’exporter des matchs commence à se répandre apportant avec elle son lot de problématiques. Le dernier match amical entre Chelsea et le Paris Saint-Germain, le 23 juillet 2012[16], s’est par exemple déroulé dans le Yankee Stadium de New York, stade de baseball qui avait mis des buts pour l’évènement mais qui s’est retrouvé totalement vide… Une mauvaise image pour un sport qui se veut si populaire mais dont la puissance financière transforme petit à petit les fondamentaux, à tel point qu’une équipe nationale comme le Mexique, appartenant par les impôts à chacun des citoyens, préfère choisir de jouer ses matchs à domicile aux États-Unis plutôt que sur ses propres terres.



[1] Littéralement le Stade de la Lumière, nom également utilisé par le club de Sunderland, en Angleterre avec son Stadium of Light
[2] Nom du leader ivoirien de l’indépendance acquise en 1960 et du premier président du pays
[3] La victoire de la RFA lors du mondial 1990 en Italie a été suivie par des millions de fans de la RDA et le pays a fini par se réunir politiquement en octobre de la même année
[4] Benito Mussolini s’est par exemple beaucoup servi des victoires en Coupe du Monde de la Squadra Azzura lors des mondiaux de 1934 et 1938 pour asseoir encore plus son pouvoir. Et que dire de l’Amérique Latine où Pinochet a utilisé des victoires du Chili lors de sa « présidence » pour des fins politiques et où le pouvoir des généraux argentins s’est amplement aidé de la victoire lors du mondial 1978 dans leur propre pays pour amplifier sa propagande et ses assassinats politiques dans un climat de liesse sportive.
[5] Les émeutes meurtrières dans le stade de Port Saïd en Égypte constituent un moment charnière pour l’éviction de Moubarrak par exemple. Par ailleurs, le dernier euro 2012, en Ukraine, a permis au mouvement féministe dénonçant les abus de discrimination sexuelle dans le pays de sortir de l’ombre face aux caméras du monde entier diffusant les matchs de la compétition.
[6] Le Roi Pelé, professionnel de 1956 à 1977 est considéré comme le meilleur joueur de l’histoire du football, étant par exemple le seul footballeur à avoir gagné 3 coupes du monde avec le Brésil (1958, 1962 et 1970)
[7] El Tri  est le surnom de l’équipe de football mexicaine, diminutif du mot Tricolor, évoquant le drapeau du pays.
[8] José Manuel « el Chepo » de la Torre est l’entraîneur de la sélection mexicaine depuis 2010
[9] Berlin est traditionnellement assimilé à la troisième ville de Turquie, après Istanbul et Ankara et Boston est la ville qui a le plus de personnes d’origines irlandaises dans le monde.
[10] Les deux chaînes les plus importants, TV AZTECA et TELEVISA ont été accusés d’avoir soutenu « plus que la normale » le candidat du PRI et futur vainqueur Enrique Peña Nieto, déclenchant un mouvement de protestation de la part des étudiants de Mexico nommé YOSOY132 en référence à une assemblée dans une université qui avait « chahuté » le candidat du PRI et qui avait été injustement dénigré par les deux chaînes.
[11] Le BBVA Compass Stadium de l’équipe de soccer de Houston, les Houston Dynamo est un stade à la capacité de seulement 22.000 places, d’où la facilité de combler le lieu avec les Mexicains vivant au Texas.
[12] Maradona le 22 juin 1986 dans le Stade Azteca a marqué un but de la main contre l’Angleterre (2-1) puis l’a commenté en le qualifiant de « main de dieu » après le match. Il a aussi marqué un des buts les plus célèbres du football après une chevauchée fantastique de près de 40 mètres.
[13] Le début de la saison 2012-2013 a, en effet, été problématique pour Chicharito Hernández qui a fait face à la concurrence féroce de Robin Van Persie, nouveau joueur de Manchester United et qui a affronté plusieurs blessures l’empêchant d’enchaîner les matchs. Néanmoins le joueur semble être de retour, il vient de marquer un triplé par exemple le 10 novembre dernier avec son club pour la victoire de Manchester United 3 à 2 sur le terrain d’Aston Villa.
[14] Chicharito a notamment loupé un pénalty ainsi que près de 8 occasions franches de marquer, son but, lui, est surtout dû à une erreur du gardien adverse.
[15] Le club du FC Barcelone, du Real Madrid ou de Manchester United ont eux trois plus de 30 millions de fans sur facebook, près de la moitié de la population totale de la France.
[16] Le match entre le PSG et Chelsea s’est terminé par un score nul 1-1, le brésilien Nenê ayant ouvert le score pour les Franciliens, contre une égalisation du jeune Piazón pour les blues londoniens.

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