9 décembre 2012

Gros plan sur la photographie contemporaine: entrevue avec Marianne Fourie


Marianne Fourie, artiste photographe sud-africaine vivant actuellement en Espagne, vient de remporter un concours international organisé par Duggal, l'une des plus grandes entreprises de développement et de production de photos dans le monde. Après une exposition à l’Institut Français de Madrid en novembre 2011[1], elle se consacre par là comme l’une des figures montantes de la photographie contemporaine. Elle revient pour la Plume et l’Objectif sur son parcours personnel et artistique.


Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours personnel et de ce qui vous a amenée à la photographie ?

C’est assez difficile à dire mais l’on peut dire que tout m’a amenée à la photographie. Je suis née en Afrique du Sud et y ai vécu jusqu’à mes huit ans. J’ai ensuite vécu à Londres pendant trois ans et je suis retournée en Afrique du Sud pour terminer l’école primaire. J’ai suivi des cours de Beaux Arts et d’histoire de l’art dans l’enseignement secondaire et c’est là tout ce qui constitue ma formation artistique. Enfin, je veux dire que je n’ai pas de formation universitaire spécifique en Beaux Arts. C’est un peu difficile à expliquer pour quelqu’un qui ne connaît pas le système éducatif d’Afrique du Sud, mais j’ai étudié les Beaux Arts comme si c’était des maths, ça avait la même importance. Je suis ensuite partie à Paris pour être jeune fille au pair.

A l’âge de huit ans, j’ai eu mon premier polaroid et comme l’on voyageait beaucoup, je prenais beaucoup de photos. Je ne me disais pas par contre que j’allais devenir photographe. En tant qu'assistante et stagiaire, je faisais plein de petits boulots pendant les séances mais je ne prenais pas du tout de photos. C’était des magazines nationaux et des photographes de renommée. à encore, je ne me disais pas que j’allais être photographe. Je pensais que j’allais être peintre ou dessinatrice. Le vrai déclic est venu avec l’apprentissage du numérique en 2005. Mon mari m’a dit « essaie, regarde » et ça a vraiment retenu mon attention. Ce qui m’intéressait c’était qu’on pouvait expérimenter, jeter si ça ne nous plaisait pas et ça ne coûtait rien.

Marianne Fourie, Oblique ©

Vous avez beaucoup voyagé. Comment concevez-vous le rapport entre le voyage et la photographie ? L’un alimente-t-il l’autre ? La photographie serait-elle une sorte de voyage au travers de l’image pour vous ?

Non, je dirais plutôt que je ne peux pas voyager sans appareil photo, que je ne pouvais pas partir sans appareil photo et qu’il ne m’est pas possible de me promener sans appareil photo. La photographie, pour moi, c’est avant tout le plaisir de capter le moment qui fuit et qu’on ne retrouvera jamais. C’est le plaisir de vagabonder et de prendre ce qu’on voit pour pouvoir le garder un peu. J’ai beaucoup voyagé et j’ai une grande peur du temps qui fuit. La photo reste donc le lien le plus efficace avec le moment présent.


La photo comme lien avec le temps, donc. La photo est-elle aussi un moyen de faire le lien avec vos « modèles artistiques » ? Quelles œuvres ou quels artistes vous ont le plus influencé ?

J’ai surtout été influencée par la littérature. J’ai fait des études de littérature et cela a beaucoup influé sur ma façon de voir l’art. Je conçois en ce sens mes séries de photos comme des romans. Je pars dans un sens, je fais le tour – peut-être, et sûrement même, ne le fais-je jamais de manière assez approfondie –, mais quand c’est terminé, c’est comme si un roman était terminé et je passe à autre chose. Je ne pourrai pas faire tout le temps la même chose, comme développer une sorte de thème musical qui ne se terminerait jamais.

Avec ma série Oblique et le thème des Ruckenfiguren[2], j’ai pensé à l’identification qui se faisait entre le personnage et le lecteur dans un roman à la première personne, avec l’emploi du « je ». Les figures de dos suscitent en moi une même projection de la part du spectateur, une même identification, dans une sorte de dédoublement du sujet.


Marianne Fourie, Oblique ©


Vous avez parlé de l’influence de la littérature. Pensez-vous à des auteurs ou à des titres en particulier qui auraient marqué comme des étapes dans votre cheminement intellectuel et artistique ?

Ah, j’ai une très mauvaise mémoire. C’est très difficile pour moi de vous citer des noms précis. Je dirais d’abord Lewis Carroll avec Alice au pays des merveilles, que j’ai lu à l’âge de 6 ans et qui m’a beaucoup marquée. J’ai évidemment lu beaucoup de littérature anglaise, comme j’étais en Angleterre. Il y a une vraie littérature pour enfants en Angleterre, ce que j’ai moins retrouvé dans d’autres cultures. 

A l’adolescence, je suis passée par tous les classiques, j’ai lu beaucoup de littérature classique, de la littérature française aussi. Et puis, il y a des moments où je m’intéresse particulièrement à la littérature sud-africaine ; je suis passée par les russes aussi. L’adolescence aura été le grand moment de Dostoïevski dans mes lectures. C’est très difficile à dire… En ce moment, je me replonge dans la littérature anglaise avec des auteurs comme Ian McEwan et Beryl Brainbridge.


On a souvent considéré la photographie en Afrique comme un medium à cheval entre la photo documentaire et la photo artistique, souvent attachée à l’actualité sociale et politique. En tant que sud-africaine, quelle approche avez-vous de votre œuvre photographique par rapport à cela ?

Je conçois la photo-documentaire comme un regard qui vient de l’extérieur pour raconter ce qui se passe aux gens de l’extérieur. Pour moi, qui suis née dans le pays, c’est un peu problématique. En Afrique du Sud – je ne connais pas trop la situation des autres pays africains – les gens ont plus de possibilités de raconter leur propre histoire, que ce soit au travers de la littérature, du cinéma, de la photo… Et je suis plus intéressée par la parole de l’être lui-même que par celle de celui qui contemple le panorama de loin. J’attends plus que les compatriotes racontent leur propre histoire. 

Marianne Fourie, Elsewhere ©

Quels sont vos projets après l’exposition à l’Institut français de Madrid de novembre 2011?

J’ai beaucoup de projets. J’ai en tête trois idées de nouvelles séries : une série très espagnole et deux autres que je voudrais faire après. La série espagnole va s’organiser autour de photomontages. Je suis déjà partie dans les banlieues pour prendre en photo les bâtiments…


Vous habitez actuellement en Espagne. Avez-vous un lien particulier avec ce pays ? Pourquoi avoir choisi la péninsule ibérique ?

Mon mari a été muté et je l’ai suivi. Avant nous étions aux Etats-Unis. Cela a été un peu difficile pour moi car je commençais à connaître du monde, à rencontrer des gens dans le monde de l’art. Ici, je suis arrivée et je ne connaissais pas la langue. J’ai mis plus d’un an à avoir une exposition. C’est donc par un pur hasard que j’habite maintenant à Madrid. 

Marianna Fourie, Strange ©

Avez-vous une technique particulière au moment de concevoir vos séries de photographies et vous soumettez-vous à une « ascèse » esthétique bien définie ?

Je n’ai pas une approche particulière prédéfinie ; j’essaie d’adapter mes approches aux séries. J’essaie en fait de trouver le moyen le plus facile pour exprimer ce que je veux. Je vais par exemple recourir au photomontage pour ma prochaine série car cela s’adapte à ce que j’ai envie de dire. Dans une autre série à laquelle je pense déjà, il y aura un mélange entre l’acrylique et un cache par-dessus les photos. Je m’adapte à l’idée que j’ai. L’art, c’est la liberté. Je ne me dis pas que je suis photographe et que je vais faire ça. Photoshop, par exemple, est pour moi un excellent outil et je ne comprends pas les gens qui ne l’utilisent pas ou qui me regardent horrifiés quand je leur dis que je m’en sers. J’utilise les moyens qui existent pour arriver à mes fins. 


Par vos voyages et votre itinéraire de vie, on l’a vu, vous avez eu accès à beaucoup de cultures et parlez plusieurs langues. Concevez-vous en ce sens la photographie comme un langage plus universel que les langues particulières de chaque peuple ?

L’image touche tout le monde. Il y a quand même des codes culturels dans l’art visuel mais ce dernier est beaucoup plus universel que les langues et touche plus de gens. Avec la photo, on arrive à toucher tout le monde, tous les humains. 


De nombreuses photos sont disponibles en ligne sur le site de Marianne Fourie : mariannefourie.com/


[1] Voir l’article paru sur la revue d’art en ligne Boumbang sur cette exposition.
[2] Les Ruckenfiguren sont des images qui montrent au spectateur des personnes de dos. On peut retenir comme exemple le célèbre Voyageur au-dessus de la mer de nuages de Caspar David Friedrich.

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