Le 9 janvier 2013, des négociations ont débuté à Libreville, au Gabon, afin de mettre fin à la crise sécuritaire qui secoue la République Centrafricaine (RCA). Elles réunissent les délégations du pouvoir centrafricain, l'opposition démocratique et la rébellion de la Séléka. Le 10 décembre 2012, la coalition rebelle de la Séléka a lancé une offensive militaire en République centrafricaine. Face à une armée régulière mal équipée et désorganisée, la rébellion est parvenue à s'emparer de plusieurs grandes villes du pays. Aujourd'hui, la Séléka contrôle les deux tiers du territoire. Cette démonstration de force a permis à la coalition rebelle d'affirmer sa puissance militaire, tout en mettant en lumière la faiblesse des institutions militaires centrafricaines. Parviendra-t-elle pour autant à s'imposer comme une véritable force politique aux yeux des autorités centrafricaines, de la Communauté économique des Etats de l'Afrique Centrale (CEEAC) et de la communauté internationale ? C'est là tout l'enjeu des négociations de Libreville, qui fixeront la place et le rôle de la Séléka dans le paysage politique de la région.
Carte de la République Centrafricaine (RCA). |
La Séléka réclame la démission de François Bozizé et sa traduction devant la CPI.
D'après un article publié sur le site internet de Radio France Internationale, le 21 décembre dernier, les forces rebelles de la Séléka accusent le président de la République centrafricaine, François Bozizé, de ne pas respecter l'accord de Birao signé en 2007, « entre le gouvernement et les rebelles de l'Union des forces démocratiques pour l'unité (UFDR), en 2007 ». Cet accord visait le désarmement et la réinsertion des combattants des forces rebelles dans l'armée nationale. Or, l'opposition estime que rien n'a été fait en faveur de ces combattants.
C'est la principale raison qui pousse la coalition armée à exiger la démission du président Bozizé, qu'elle accuse de « faits de crimes de guerre et crimes contre l'humanité », en lui reprochant des « arrestations, détentions et séquestrations arbitraires, enlèvements, disparitions, assassinats et exécutions sommaires » (AFP). Elle demande également sa traduction devant la Cour Pénale Internationale (CPI), juridiction chargée de juger les personnes accusées de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
Bien que fragilisé par l'action des rebelles, le président centrafricain refuse de considérer la Séléka comme une force politique à part entière. Aussi, François Bozizé refuse catégoriquement de démissionner de ses fonctions. C'est ce qu'il a déclaré le mardi 8 janvier 2013, lors d'une conférence de presse, traitant les insurgés de « mercenaires terroristes ». De son côté, le groupe armé affirme que le seul ennemi de la RCA est François Bozizé.
François Bozizé, président de la République Centrafricaine. |
L'unité politique de la coalition est fragilisée par les divergences d'intérêts.
Même si les succès militaires de la Séléka sont indéniables, plusieurs médias français soulignent la relative bonne conduite des rebelles armés, signe, selon eux, que les insurgés disposent d'une logistique militaire performante : « cette chaîne de commandement et l'absence de pillage montrent qu'ils bénéficient de moyens financiers importants et donc sans doute d'un parrain puissant » (Le Figaro, 28/12/2012). Le Tchad est pointé du doigt, bien qu'il n'existe, à ce jour, aucune preuve tangible de son implication dans la rébellion.
En fait, on ne sait que peu de choses de la Séléka, si ce n'est qu'elle regroupe plusieurs factions : la Convention Patriotique pour le Salut du Kodro (CPSK), la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP) et l'Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR). Comme le souligne Jeune Afrique, dans un article publié quelques jours avant le début des pourparlers à Libreville, la Séléka est une coalition hétéroclite qui « peine [...] à parler d'une seule et même voix ».
Loin d'être un atout, cette absence d'homogénéité peut poser problème dans les négociations avec les autorités centrafricaines et de la CEEAC. Et, pour cause, si les différentes factions de la Séléka souhaitent la démission de François Bozizé, des désaccords persistent entre elles. Roland Marshall, un spécialiste de l'Afrique subsaharienne au Centre d'Etudes et de Recherche Internationales (CERI) de Sciences Po Paris, interviewé dans Le Monde (27/12/2012), estime que, politiquement, la coalition « ne pourra pas tenir longtemps » du fait de sa composition : des « groupes aux intérêts trop divergents, que ce soit l'argent, l'accès à des fonctions politiques, aux ressources du pays ».
Les négociations de Libreville détermineront la crédibilité politique de la Séléka.
Les négociations de Libreville offrent à la Séléka la possibilité d'asseoir sa légitimité politique, en prouvant la crédibilité de ses revendications aux yeux des organisations régionales et internationales. L'enjeu est donc de taille puisque cette rencontre est l'occasion, pour elle, d'affirmer l'espace qu'elle compte désormais occuper dans le paysage politique centrafricain.
Pour autant, les deux parties ne semblent pas prêtes à décamper de leurs positions : François Bozizé ne compte en aucun cas quitter ses fonctions de président et, pour l'instant, la Séléka n'a rien d'autre à proposer que la démission de ce dernier. Si la situation ne se débloque pas, les forces rebelles pourraient être tentées de poursuivre leur conquête vers Bangui, capitale du pays et siège du général Bozizé.
Ce schéma géostratégique est inquiétant car il serait le signe concret du vacillement des institutions politiques et militaires de la République centrafricaine. D'autre part, si les insurgés renversent le président en place par la force, leur manque d'unité pourrait donner naissance à des querelles internes quant à la récupération du pouvoir politique. Ces évènements viendraient accroître l'insécurité de la région, déjà fragilisée par la lutte armée qui oppose les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) aux rebelles du M23, au Nord-Kivu, et par les tensions persistantes au Soudan.
En contrôlant les deux tiers du territoire centrafricain, la Séléka s'est donc imposée comme une armée organisée, capable de faire vaciller les institutions militaires et de déstabiliser le pouvoir politique. Les autorités en place demeurent une force politique de par le soutien régional dont elles bénéficient, tandis que les rebelles constituent une force militaire performante. Reste à savoir lequel des deux camps parviendra à faire reculer l'autre, afin d'aboutir à un accord de paix, même si un enlisement de la situation sécuritaire du pays n'est pas à exclure.
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