18 janvier 2013

Le malaise politique vénézuélien.


Imaginez seulement quelques minutes être invité à un mariage, vous vêtir, préparer les cadeaux pour le couple heureux et arriver à la Mairie ou à l’Église sans avoir la possibilité de voir les tourtereaux échanger leurs vœux, ces derniers étant absents. Idée invraisemblable et perturbante. Mais alors que pouvons-nous penser d’une cérémonie d’investiture présidentielle, évènement où des millions de citoyens retiennent leur souffle et où la communauté internationale joue le rôle d’observateur, comme les d’invités du mariage, sans avoir cette fois l’opportunité de voir le président élu par le peuple accepter le pouvoir et prononcer son discours tant attendu ? Concept encore plus étrange et dérangeant, car cette fois, au lieu de toucher une éventuelle famille et leurs proches, l’absence du leader politique serait un problème national, laissant le peuple orphelin de son dirigeant, et plongerait l’opinion internationale dans de nombreux doutes.


Un état de santé plongeant le pays dans l'incertitude.


Cet imbroglio politique sans précédent touche aujourd’hui le Vénézuela d’Hugo Chávez. Retour rapide sur ces semaines de crises avec les dates clés. L’état de santé du président vénézuélien au pouvoir depuis 1998 fait douter ses concitoyens depuis juin 2011, date à laquelle les médecins ont détecté chez lui un cancer dans la zone pelvienne. Le président a même subi pas moins de quatre opérations pour tenter d'éradiquer la maladie. Toutefois, si lors de la campagne politique sa maladie inquiétait le peule, elle a dans le même temps permis à Chávez d’acquérir une omniprésence suspecte dans les médias.

Autrement dit, bien que malade, fatigué et en danger politique, le leader bolivarien a réussi à fédérer autour de lui ses partisans, ce qui lui a permis de gagner sa quatrième élection consécutive malgré un bilan peu flatteur et une opposition bien plus soudée et dangereuse que lors des scrutins précédents. Sa réélection du 7 octobre dernier, avec 55% des voix aurait donc dû conduire à une prise de fonction devant le peuple le 10 janvier 2013. Or l'hospitalisation du leader vénézuelien depuis le 11 décembre dernier, plonge son pays dans l’incertitude. Chávez sera-t-il remis à temps pour prêter serment pour son nouveau mandat de six ans ? Que faire si le président ne peut pas prendre ses fonctions à la date fatidique ? La constitution permet-elle de repousser la cérémonie ? Qui dans ce cas assurerait l’intérim en attendant le retour de l’enfant prodigue sur ses terres ? Certains ont même pensé à autoriser la prise de pouvoir dans un autre pays, en l’occurrence Cuba où le leader se fait soigner.


Une opposition voulant éviter la crise institutionnelle. 


Face à ces inquiétantes questions, qui ont plongé le pays dans le flou total, le leader de l’opposition et candidat malheureux des élections d’octobre 2012, Henrique Capriles Radonski, a en quelque sorte enrayé les hypothèses de crise politique en acceptant de décaler la date de l’investiture. Ainsi l’opposition a-t-elle préféré se montrer compatissante envers le président pour ne pas « froisser » un peuple acquis à Chávez. Le résultat d'éventuelles élections, en cas de disparition prématurée de Chávez, serait totalement incertain. Il est donc inutile pour le camp adverse de se tirer une balle dans le pied en utilisant le malaise actuel comme argument politique. L’hypothèse d’un déplacement de la cérémonie a donc été acceptée il y a quelques semaines, mais il restait cependant un point à éclaircir : celui de savoir qui assurera l’intérim du pouvoir exécutif.

Venezuela: confirman que Chávez no estará en su toma de posesión
Les Vénézuéliens à l'Eglise, priant pour la vie de leur leader politique et président élu Hugo Chávez.


« Être calife à la place du calife ».


Deux figures politiques importantes du chavisme pouvaient prétendre à « être calife à la place du calife ». On trouve d'un côté Nicolás Maduro, vice-président de Chávez et ex-ministre des Affaires étrangères. Les qualités de ce dernier sont reconnues dans son parti. Cet homme, de 50 ans, a la réputation d’être un fin médiateur, de part son expérience d’ancien syndicaliste. Sa charge de ministre des Affaires étrangères, qu’il a assumée de 2006 à 2012, lui apporte également une légitimité importante aux yeux de la communauté internationale ainsi qu'à ceux des Cubains[1], avec qui il a pris l’habitude de traiter ces six dernières années. Maduro a en outre rempli le rôle officieux de porte-parole du président au cours de son opération la plus récente et de la rééducation qui a suivi. La fille de Chávez et son gendre se sont même montrés en compagnie du vice-président afin de confirmer qu’il faisait bel et bien partie des proches du leader bolivariste. De l'autre côté se trouve Diosdado Cabello, le président de l'Assemblée nationale et chaviste de la première heure.

Se pose donc un problème de taille vis-à-vis de l’intérim de Chávez, qui a donné lieu à des rumeurs (surement fondées) de lutte entre Maduro et Diosdado Cabello. En effet, contrairement au modèle américain par exemple, le choix du vice-président vénézuélien est réalisé par le président, qui peut à tout moment modifier son choix. L'élection présidentielle ne porte pas sur un ticket rassemblant une paire président/vice-président, ce qui ne permet donc pas au vice-président d’avoir la légitimité des urnes en cas d'intronisation au poste de président.


Un choix inconstitutionnel.


Choisir la personne de Nicolás Maduro comme dirigeant par intérim serait donc illégitime dans le contexte de l’expression du peuple, mais bien plus grave encore, cela serait tout simplement inconstitutionnel. La constitution des chavistes, approuvée tant bien que mal en 2009 par le peuple, l’exprime clairement : en cas de vacance du pouvoir, c’est au président de l’Assemblée Nationale de prendre les rênes en attendant une nouvelle élection (comme le stipule l’article 233 de la constitution du pays), c'est donc cette personne qui possède la légitimité électorale. Par ailleurs, le président de l’Assemblée Nationale, Diosdado Cabello, dispose d’une popularité au moins égale à celle de son rival Nicolás Maduro, du fait de son expérience électorale plus importante. C’est également un ancien militaire de talent, qui a pris part au putsch de 1992[2] qu’avait tenté Hugo Chávez pour prendre le pouvoir. Ce passé dans l’armée est un point non négligeable pour les têtes pensantes bolivariennes dans cette partie du monde où l’armée a si souvent eu son mot à dire.

A gauche, Nicolás Maduro, vice-président d'Hugo Chávez qui va assurer l'intérim, à droite Diosdado Cabello, président de l'Assemblée Nationale, voulant montrer l'unité des chavistes face à cette épreuve


« Ces idiots ne reviendront pas » à un président omniscient et omnipotent.


Le clan Chávez a du faire face à un dilemme, mais ce dernier a tranché et un consensus a été trouvé : la prise de pouvoir a été repoussée à une date non publiée et l’intérim a été confiée à Nicolás Maduro, violant la constitution flamblant neuve pour laquelle s’était tant battu le leader de la République Bolivarienne du Vénézuela On comprend donc pourquoi l’opposition, voire même les hommes du camp de Chávez ayant travaillé sur la constitution, peuvent s’insurger contre cette manœuvre politique. Mais le peuple, lui, semble confirmer son soutien à Chávez . Il s'est rassemblé devant le palais présidentiel de Miraflores lors de la date officielle de la prise de possession, le 10 janvier dernier, scandant « dehors l’oligarchie », « ces idiots ne reviendront pas », ainsi que des slogans très populistes disant au président « vous n’être pas seulement à Cuba, vous êtes dans le monde entier ».

Ce 10 janvier 2013 a donc été une journée très mouvementée, entre un président élu en convalescence à Cuba et la fin d’une incertitude politique avec la décision de conforter le vice-président Nicolás Maduro à la tête du pays durant la période d’intérim, quitte à bafouer la constitution. Ajoutez à cela une vision internationale avec un parterre de figures politiques de la région (José Mujica président de l'Uruguay, Evo Morales président de la Bolivie, Daniel Ortega président du Nicaragua, Fernando Lugo ex-président du Paraguay) et de membres de l’OPEP[3] ou de l’ALBA[4] venus écouter Maduro. Saupoudrez d'une masse populaire impressionnante, montrant son soutient inconditionnel au leader populiste et d'une pincée d'opposition présente mais impuissante. Le résultat était donc attendu.


Un pays en attente, effrayé et divisé ... qui fait peur à un continent entier.


La situation est la suivante : effrayé par un possible chaos politique lié à la mort de Chávez et divisé, le pays espère éviter tout débordement mais il sait très bien qu’en cas de mort de son leader charismatique, il sera difficile pour les partisans de Chávez de rester unis. L’impasse vénézuélienne actuelle est donc le résultat d’une hyper présidence populiste enracinée dans le pays depuis 1998 et de l’absence de leaders, aussi charismatique que Chávez, pouvant remplacer le pouvoir personnel du président de la République Bolivarienne du Vénézuela.

L’opposition, elle, se sent impuissante : la moindre déclaration sur la maladie du président peut être considérée par le peuple comme une tentative déplacée de se frayer un chemin vers la présidence. Cette incertitude pèse également dans le continent latino américain, Cuba pouvant voir à tout moment ses demandes en pétrole (qui vient du Vénézuela)[5] refusées ou réduites et l’influence de Chávez auprès de nombreux chefs d'Etat de la région créant un climat difficile. L’exemple du Brésil, suivi par les autres pays latino-américains, qui a accepté sans condition les « errements » politiques de Caracas mettant fin à la concurrence entre Maduro et Cabello, montre bien l’inquiétude des pays face à ce qui pourrait être un bouleversement géopolitique dans le continent.



[1] Les liens entre le Cuba des frères Castro et le Vénézuela de Chávez sont extrêmement importants, Chávez ayant même confié que Fidel Castro était son mentor politique, par ailleurs, le fait qu’il se soigne à Cuba le confirme.
[2] En février 1992, Hugo Chávez et ses partisans ont tenté un putsch contre le régime de Carlos Andrés Pérez, qui faisait face à la montée de l’inflation dû à la baisse du prix du pétrole, ce coup d’État a été repoussé, mais les chavistes en ont tenté un autre en novembre de la même année, toujours en vain.
[3] L’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole est une organisation rassemblant les pays exportateurs de pétrole née en 1960 à l’initiative de l’Iran et du Vénézuela, 14 pays en font partie aujourd'hui.
[4] L’Alliance Bolivarienne pour les peuple d’Amérique Latine (et aussi littéralement « aube » en espagnol) est une association pour promouvoir la coopération économique, sociale et politique entre les pays socialistes d’Amérique Latine et des Caraïbes. Elle a été fondé en 2005 à l’initiative de Chávez, et elle rassemble aujourd’hui 9 pays (Équateur, Vénézuela, Nicaragua, Cuba, Bolivie, Dominique, Honduras, Saint-Vincent-les-Grenadines et Antigua-et-Barbuda).
[5] Le programme « médecin contre pétrole », visant à ce que le Vénézuela envoie une partie importante de ses ressources pétrolières à Cuba contre le service et la formation de médecins de la part des Cubains a fait du Vénézuela le principal agent commercial avec La Havane avec 37,4% d’exportation.

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