4 novembre 2013

Fêter la mort avec le sourire, bienvenue au Día de los Muertos.


Les manières de célébrer ses morts varient bien entendu selon les cultures, coutumes et héritages historiques des différentes régions du monde, mais il faut bien avouer que le monde occidental traditionnel a l’habitude de voir ce jour d’une manière noire, triste et négative. Les cimetières français sont en effet, le jour de la Toussaint, assaillis d’une foule réservée, qui se recueille sur les tombes de leurs familles ou de leurs proches dans un silence de mort (chercher l’ironie) en les recouvrant de chrysanthèmes, fleurs traditionnellement associées au deuil[1]. Puis la famille retourne chez soi, bien au chaud en tentant d’oublier leur tristesse liée au court moment où ils se sont réunis au cimetière ensemble. Cette vision terne de la mort n’est néanmoins pas celle des Mexicains. Il n’y a, effectivement, pas plus exotique pour un Européen de séjour dans le pays du Nopal que cette fête des morts, ou Día de los Muertos que célèbrent les Mexicains le 2 novembre. Jour orné de couleurs, de sourires, de fêtes, de musique, de saveurs et de coutumes. 


Une tradition pré-hispanique.

Évoquer l'origine de ce jour si spécial est quelque chose de fondamentale. Il est très difficile de s’arrêter sur une date précise qui pourrait marquer le début des festivités du Jour des Morts, mais tout le monde est d’accord sur ce fait : la coutume est antérieure à l’arrivée des Espagnols dans le pays. Il faut, selon les spécialistes, remonter au minimum un millénaire avant notre ère pour atteindre les origines de cette fête. La fête d’aujourd’hui résulte d’un syncrétisme culturel des différentes perceptions et cérémonies qu’avaient les civilisations pré-hispaniques concernant la mort, et du devoir de mémoire qu’ils se devaient de rendre à ces derniers.

Mais c’est surtout la civilisation aztèque, héritières des cultures passées de la région, qui permet de comprendre la genèse de cette tradition mexicaine. Inutile de le préciser, pour cela il faut faire complètement abstraction de la conception catholique, voir occidentale de la mort. La vision du paradis et de l’enfer n’existe pas, c’est plutôt la façon de mourir qui indique aux futurs défunts leurs mutations prochaines. Le Tlalocan pour les Aztèques était le paradis de Tlaloc, dieu de la pluie, et était ainsi réservé aux morts liés à la sécheresse ou à n’importe quel évènement en rapport avec l’eau comme la noyade par exemple. Par ailleurs le paradis Omeyocan, présidé par Huitzilopochtli, dieu de la guerre, était le paradis recherché de tous, avec un soleil sans fin, de la musique, des fruits multicolores et une prospérité sans limites. Mais ce lieu était réservé pour les morts aux combats, les soldats tombés pour leur patrie. On comprend un peu plus l’essence de ces sociétés pré-hispaniques  basée sur la guerre avant tout. L’idée reste similaire pour les autres paradis, du paradis du sacerdoce, en passant par celui des agriculteurs.


Statuette de Mictlantecuhli, dieu aztèque des morts, British Museum.

Mais le point à mettre en avant pour la vision de la fête des morts comme elle est fêtée aujourd’hui est le suivant, le paradis de la mort naturel (le Mictlan), présidé par Mictlantecuhtli et Mictecacíhuatl, seigneur et dame du sanctuaire, était logiquement le plus important en nombre de mort. Ainsi la fête concernant les morts de ce sanctuaire se célébrait sur près de deux mois, en concordance avec la fin de la récolte du maïs, base alimentaire de ces civilisations et souvent présent dans la mythologie accompagné de la courge, des haricots et des pois.

Le Jour des Morts reste cependant le moment clé de ces célébrations, un jour dédié aux proches et à la famille décédée, qui avait lieu le plus souvent lors du dixième mois du calendrier mexica, c'est-à-dire en août. La tradition consistait à découper l’écorce de l’arbre sacré (le xócotl), sous la surveillance de Mictlantecuhtli et de Mictecacíhuatl, puis de déposer les fleurs de cet arbre sur les tombes accompagnées de roses d’Inde. Tout cela en décorant les cimetières d’objets sacrés et en ornant les sépultures de nourritures typiques et de maïs, pour évoquer la fin de la récolte. Malgré les siècles qui se sont écoulés, c’est donc vers cette coutumes qu’il faut regarder pour comprendre l’origine de la fête des morts, les fleurs ornant les cimetières mexicains à cette date étant les mêmes qu’aujourd’hui et l’idée de partager sa nourriture avec les défunts est également présente dans les commémorations actuelles.

Un syncrétisme de nombreuses époques et cultures.

L’arrivée des Espagnols dans le pays, avec leur conception différente de la mort bouleversa la tradition, sans pour autant l’éradiquer. En d’autres termes, les conquistadores, eux, étaient surtout effrayés par la mort, qui est une fin totalement incertaine de la vie. Ils avaient donc la coutume de fêter la Toussaint en allant dans les cimetières pour offrir des verres finement ornés d’or remplis de vin rouge, rappelant le sang du Christ, ainsi que du pain, représentant le corps du Messie[2]. Tout cela accompagné de bougies qui les guidaient à travers le cimetière.

Lors de la colonisation, par un rituel classique d’assimilation[3], les Espagnols ont tenté avec un succès certain d’atténuer les rites indigènes, ces derniers s’étant convertis au catholicisme. Toutefois, c’est à partir des années 1920 que le rituel a totalement refait surface par le biais du gouvernement. La situation politique compliquée du pays, régi par les gouvernements nationalistes depuis la révolution de 1910 contre l’illustre despote Porfirio Díaz, était très instable voyant les coups d’états et les révolutions internes se multiplier. L’idée était donc, à l’instar de la IIIème République qui décida de populariser la fête du 14 juillet en France, d’établir une culture nationale, en développant la fête des morts.

En bref, el Día de los Muertos est donc une fête ancienne, datant des civilisations pré-hispaniques desquelles résultent les rituels de fleurir les tombes et de fêter la mort joyeusement. Mais l’arrivée des Espagnols n’a pas totalement réussi à gommer ces cultures « barbares ». Elle a seulement abouti au déplacement de la date de la fête qui correspond maintenant au jour des morts catholique. Par ailleurs, elle a permis l’introduction de quelques rituels religieux venus de la métropole, comme le fait d’offrir du pain et du vin au défunt. Enfin l’instabilité politique du pays dans les années 1920, due à la Révolution Mexicaine, a poussé le gouvernement à inciter au retour en grâce de cette fête, symbole de fierté nationale, célébrant leurs racines mésoaméricaines et espagnoles.

Ce syncrétisme de culture et d’époque laisse donc place à une fête haute en couleurs, distinguée par l’UNESCO en 2003 comme étant un chef d’œuvre du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité[4]. La fête n’avait besoin que d’une icône, comme le Père Noël pour le 25 décembre, et ce sera la Catrina, à l’origine caricature de Guadalupe Posada de 1912 se moquant de personnages indigènes ayant accédé à la richesse sous le contrôle de Porfirio Díaz. Diego Rivera lui-même reconnaîtra l’importance de ce personnage dans une de ses peintures murales de 1948. Il donnera même le nom actuel du protagoniste, celui de Calavera de la Catrina [cette année les mexicains ont fêté les cent ans de la mort de Posada, ce qui a donc été le prétexte de nombreuses manifestations culturelles, et cela surtout à Aguascalientes, lieu de naissance du peintre]


Dérivé de la première Catrina, la caricature de Guadalupe Posada (©LPO)

Une "Catrina" géante, événement organisé par le conseil municipal d'Aguascalientes pour commémorer les 100 ans de la mort de Posada, le peintre à l'origine de ce portrait. (©LPO)
On a donc une fête pleine de joie et de perspectives culturelles. Comme à l’époque des Espagnols, les familles visitent les cimetières pour donner des offrandes aux morts. Et cela selon des règles bien précises. Les autels installés dans les cimetières, dans les maisons ou même dans les universités[5] se composent de 7 niveaux qui symbolisent les sept passages de l’âme vers le repos éternel. Les échelons se forment de la manière suivante :

     - Le premier étage reçoit une icône du saint que le défunt idolâtrait particulièrement, ou de la vierge
     - Le second est dédié aux âmes du purgatoire
     - Le niveau trois reçoit un chemin de sel pour aider les enfants du purgatoire à trouver leur chemin
     - Le niveau quatre, quant à lui, reçoit le pain des morts, représentant le corps du Christ et traditionnellement du vin, même si de nos jours la bière ou la tequila favorite du mort tend à le remplacer[6].
     - Le cinquième niveau s’agrémente du plat favori du mort.
     - Le sixième niveau est orné de la photographie du défunt.
     - Et enfin le septième niveau se compose d’une croix de rosaire faite de fruits ou de fleurs.


Un autel typique du Día de los Muertos mexicains, avec ses sept passages
pour que l'âme atteigne le repos éternel (©LPO).

Maillots de football et calaveras en sucre ou chocolat.

Néanmoins, de nos jours, les symboles peuvent être détournés et s’éloigner de la tradition. Il n’est en effet pas rare de voir des maillots de football accompagner la photo des défunts. De même pour les politiciens qui peuvent reposer sous le logo de leur parti ou les couleurs traditionnels de ce dernier.  L’autel, illuminé par des bougies qui symbolisent l’ascension des esprits, orné de fleurs jaunes (la mort), violettes (la vie), blanches (le ciel) et de maïs symbolisant à la fois la paix spirituelle et étant la preuve d’un séjour terrestre harmonieux. On peut y ajouter l’eau, symbole de fertilité, les quatre points cardinaux pour l’orientation future du mort, ainsi que les calaveras en sucre ou en chocolat, symboles du goût de la vie qu’avait le défunt dont le nom trône sur le front de cette tête de mort.

Un formidable vivier économique protégé par l’UNESCO.


Entrée du XVIIIème Festival de Calaveras d'Aguascalientes,
illustration de la "commercialisation" du Jour des Morts 
(©LPO).

Les rites sont donc bien conçus, mais ce Día de los Muertos est également un formidable vivier économique, le dicton mexicain «  No se puede negociar con la muerte, pero sí se puede hacer negocio con ella »[7] confirmant cette idée. Toutes les villes ont leur festival de los Muertos, avec des activités mettant la mort en scène. Mais c’est surtout l’occasion de sortir au grand air à la fête foraine du festival, de manger dans un restaurant situé dans le parc avec sa famille ou tout simplement d’acheter des produits locaux peu connus. Les pièces de théâtre sur le sujet sont multiples, les défilés de personnes déguisés omniprésents, tout comme les marchés locaux (appelés Mercado de los Muertitos) où les décorations pour les maisons, les têtes de morts en sucre ou en chocolat et autres objets insolites sont en ventes.

Pour les locaux c’est l’occasion rêvée de faire des affaires, les Mexicains eux-mêmes n’hésitant pas à dépenser leur argent comme à Noël pour les décorations ou les plats régionaux. Les touristes occidentaux sont également dans le viseur, l’originalité et l’exotisme de cette fête typique attire chaque année de millions de touristes venus surtout d’Europe et des États-Unis. Pour les compagnies touristiques, c’est l’heure des grandes manœuvres avec des prix cassés et des voyages organisés qui se multiplient. Bref c’est l’usine. Comme par exemple à Pátzcuaro, énorme lac de l’état du Michoacan abritant une des îles typiques du pays, avec le Pueblo Magico de Janitzio. Ce lieu, qui voit la fête des morts débuter sur le lac, dans des chaloupes éclairées de nuits pas de faibles lueurs de bougies, recevant les sons inquiétants de prêches préhispaniques, est devenu la capitale touristique du pays à cette époque de l’année. Les embarcations surchargées se relayant les unes après les autres pour transporter les visiteurs avides de surprises. Mais la protection de la fête par l’UNESCO aide néanmoins à éviter les excès financiers concernant l’évènement[8].


L'étalage d'un stand du marché des Muertitos, plein de Têtes de Morts en sucre,
bonbon adoré par les enfants mexicains (©LPO)

Entre fêtes de zombies et petites têtes en sucre.

Juger l’aspect économique trop rapidement serait néanmoins trop simpliste. Il est tout à fait logique que les habitants du Mexique, pays possédant un taux de pauvreté très important, profitent de cette fête. Ils ont la chance de célébrer la mort d’une manière différente, pleine de magie, de féerie et de couleurs. L’animosité que certains Mexicains portent à Halloween témoigne de leur attachement pour leur Día de los Muertos. En effet, l’influence du voisin nord-américain dans le pays est telle que la fête d’Halloween est considérée comme un danger par lesdits Mexicains, effrayés de voir leur jour traditionnel prendre des couleurs noires et oranges et représenté par des citrouilles.

Il faut dire que les régions frontalières fêtent Halloween comme les Américains (le cas contraire est également visible, les États comme le Texas ou la Californie avec la présence de nombreux immigrés mexicains fêtent également le jour des morts mexicains). Il ne faut toutefois pas encore s’inquiéter, la fête est vraiment ancrée dans les traditions mexicaines chez les grands et les petits. La présence d’Halloween ne fait que rendre ces quelques jours encore plus beaux et surprenants, entre fêtes de zombies et petites têtes en sucre. Le Mexique continuera encore à fêter la mort avec le sourire. En d’autres mots, la fête des morts, c’est mortel !



[1] L’utilisation du chrysanthème n’est pas si ancienne, elle remonte en effet à 1918, pour commémorer l’armistice du 11 novembre les soldats français et belges voulaient fleurir les tombes des morts pour la patrie, mais à cette époque ils ne restaient guère que les chrysanthèmes qui étaient encore en fleurs. La Toussaint se situant aussi en novembre, époque orpheline de nombreuses fleurs, le chrysanthème a continué à être utilisé pour décorer les cimetières.  
[2] « C'est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit : Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en ma mémoire. De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en ma mémoire toutes les fois que vous en boirez. » (Corinthiens 11.23-26)
[3] Bien plus que les colonisations démographiques ou économiques, c’est les colonisations par le biais de l'assimilation qui était utilisées par les métropoles afin que sur plusieurs générations les « barbares » finissent par s’habituer de la présence du colonisateur, ce qui évitera d’éventuelles révoltes. Ce système était fondamental dans la colonisation espagnole en Amérique Latine et il fut repris par exemple par les Français lors de la seconde vague de colonisation, c'est-à-dire celle concernant l’Afrique et l’Asie.
[4] Pour L’UNESCO le Día de los Muertos est « une des représentations des plus importantes du patrimoine mexicain et mondial, et une des expressions culturelles les plus anciennes et étant fondamentale pour les groupes indigènes du pays ».
[5] L’évènement est tel que presque toutes les universités en profitent pour développer des activités ludiques et culturelles sur le sujet. L’exemple de l’Universidad Autónoma de Aguascalientes qui a poussé ses étudiants de langues à rendre hommage à un natif du langage qu’ils apprenaient le confirme. De nombreux autels concernant Chopin ou Méliès pour le français, ou encore John Lennon et Marilyn Monroe pour l’anglais ont été dressé dans le campus.
[6] Les prix faramineux du vin au Mexique n’a pas permis à la boisson de s’imposer sur les tables de repas, contrairement à la tequila ou à la bière, plus abordables et traditionnelles.  
[7] Littéralement : « on ne peut pas traiter avec la mort mais on peut faire des affaires avec elle ».
[8] L’UNESCO affirme son intention de conserver cette tradition : « bien que la tradition ne soit pas formellement menacée, sa dimension esthétique et culturelle doit être préservée des cultures non-indigènes et du caractère commercial qui pourrait affecter le contenu de la fête ».

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