24 juin 2013

En Afrique, Barack Obama suscite la désillusion.


L’arrivée au pouvoir de Barack Obama, en 2008, avait suscité une vague d’optimisme et d’enthousiasme en Afrique. Le sang africain coulant dans ses veines, le président devait « changer les choses » dans la politique américaine envers le continent, croyait-on. Aujourd’hui, à la veille de la seconde visite du président en Afrique le 26 juin prochain, les Africains se disent déçu d’Obama, un « président comme les autres ».

Au grand marché artisanal de Dakar, situé au bord de mer et à deux pas du marché aux poissons, les commerçants attendent sous un soleil de plomb les touristes, spécialement peu fréquents à cette saison. Posté à l’entrée de ce haut lieu de l’économie parallèle dakaroise, Eugène accueille les rares visiteurs avec un portrait de Barack Obama, bien en évidence sur le mur de son kiosque de fortune. Délavé par ces quelques années sous le soleil tropical, on peut toujours y lire « Obama-Biden, 2008 », relique d’une époque où les Sénégalais suivaient avec ferveur la campagne qui se déroulait à l’autre bout du globe. « J’aime beaucoup le président Obama, mais je suis déçu qu’il ne change pas les choses en Afrique », explique le commerçant. Un message qui reflète assez bien le sentiment désabusé des Sénégalais au sujet du premier président noir des États-Unis. « Barack Obama a-t-il été à la hauteur de nos attentes ? », peut-on lire dans la presse locale. Mais les attentes suscitées par Barack Obama en Afrique étaient-elles raisonnables ?

Place de l'Indépendance, Dakar.

Obama, à la hauteur des attentes des Africains ?

En soi, la question suggère un échec du président dans sa prétendue quête du sauvetage du continent Africain. Plusieurs, animés par l’enthousiasme de voir un fils d’Africain à la tête de la première puissance économique mondiale – et de surcroît autrefois esclavagiste – ont omis un détail fondamental : Barack Obama n’est pas africain, mais bien américain. « Les gens se sont imaginés qu’Obama allait sauver l’Afrique. C’est complètement faux ! », analyse Mamadou Gueye, journaliste politique sénégalais. Élu par le peuple des États-Unis, c’est évidemment pour les intérêts de son pays qu’Obama travaille. Une réalité qui échappe parfois à l’opinion publique africaine, peu familiarisée avec l’appareil gouvernemental américain lourd de contre-pouvoirs, et plutôt habituée aux systèmes politiques africains, où le chef de l’État a souvent les coudées franches en matière de politique extérieure.

De plus, la connaissance partielle de l’Amérique, qui provient notamment de sa musique, ses films, séries télévisées ou autres productions culturelles, donne une image déformée de la réalité de ce pays. « Il y a des pauvres, là-bas ? », demandait un chauffeur dakarois incrédule suite au récit que je lui ai fait de mon dernier séjour aux États-Unis. En fait, les données auraient de quoi en surprendre plus d’un : selon le classement de la banque mondiale des pays en fonction de leurs inégalités de revenus, calculé à partir du coefficient de Gini, les États-Unis se classent en queue de peloton, derrière plusieurs pays africains dont le Sénégal. Si les Africains connaissent bien la pauvreté, ils sont moins familiers avec ce qui afflige les moins nantis du pays du « rêve américain » : l’exclusion sociale. Les États-Unis, pays certes riche, ont donc leur propre lot de problèmes. L’Afrique, ne leur en déplaise, est bien bas sur la liste de leurs préoccupations...

En Afrique, Barack Obama suscite la désillusion.

Thiat, chanteur du groupe de rap engagé "Keur Gui",
critique la visite du président Obama lors de la fête de la
musique, le 21 juin dernier.
Un vendredi soir, au centre-ville de Dakar, un spectacle de hip-hop organisé au centre culturel français est l’occasion pour le groupe Keur Gui de passer un message politique : « Dans cinq jours, c’est la visite de monsieur le Roi. [...] Vous savez ce qu’ils [les Américains] font à Gorée ? Ils demandent à la population de sortir de chez eux. Nous sommes esclaves dans  notre propre pays ! » Le groupe, membre du mouvement politique « Y’en a marre » au Sénégal, invite la foule à injurier le président américain attendu dans quelques jours. Un discours qui trouve écho chez une partie de la population, irritée par le déploiement impressionnant des forces de sécurité américaines à Dakar. Est-ce que la « désillusion » vis-à-vis du président Obama peut engendrer une hausse de l’antiaméricanisme en Afrique ? «  Nous n’avons rien, nous Africains, à demander à Obama », avait ainsi lancé l’ancien président du Sénégal Abdoulaye Wade en marge de la première visite de ce dernier en Afrique, en 2009 au Ghana. Or si l’heure est plutôt au cynisme, la visite de Barack Obama reflète tout de même un fait : États-Unis conservent malgré tout des intérêts dans l’Afrique sub-saharienne du XXIe siècle. Et pas des moindres.

Lors de sa visite, Barack Obama aura peut-être l’occasion d’apercevoir le nouveau grand théâtre, bâtiment majestueux... financé et construit par la Chine. Idem pour le soviétique « stade de l’Amitié », ou encore la flotte toute neuve d’autobus publics « Dakar Demm Dikk » de marque chinoise Sunlong. Un tour dans les marchés publics de la ville permet de constater que les produits asiatiques sont omniprésents. Forts des capitaux provenant des pays émergents, notamment asiatiques, le montant des investissements directs étrangers en Afrique a aujourd’hui dépassé celui de l’aide au développement, traditionnellement offerte par les pays occidentaux. Dans le contexte d’un monde « toujours plus interconnecté, et dont l’Afrique fait partie intégrante », tel que décrit par Barack Obama lors de son séjours au Ghana, le continent pourrait ainsi devenir au centre d’une lutte commerciale entre l’Occident et l’Asie, notamment pour son pétrole et ses ressources minières.

Le Grand théâtre de Dakar, construit par la Chine, semble rappeler un passé socialiste que le Sénégal n'a jamais connu.

Même les pays qui en sont démunis, comme le Sénégal, sont d’intérêt pour les États-Unis : officiellement choisi pour son « leadership démocratique », le Sénégal est un pays où la stabilité est une véritable richesse. À l’heure où les mouvements terroristes transnationaux de l’Afrique sub-saharienne préoccupent de plus en plus l’occident, les États-Unis ont tout intérêt à maintenir le pays stable de la région dans son cercle d’influence.

Boris Proulx 
Correspondant à Dakar

Twitter : @borisproulx

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