17 avril 2013

Le cirque de la détention d'Elba Esther.



Le 6 février 1945, dans la ville de Comitán, au Chiapas [un Etat au sud du Mexique, ndb] est née Elba Esther Gordillo, qui est considérée aujourd’hui comme étant la femme la plus puissante du pays aztèque, ou du moins qui l’était, jusqu’au 26 février 2013.

L’ex-leader du Syndicat National des Travailleurs de l’Éducation [le S.N.T.E., un des syndicats ayant le plus d’influence au Mexique, qui réunit les membres de la S.E.P. (le ministère de l’Éducation Nationale) qui contrôle l’éducation publique du pays, ndb] a commencé sa trajectoire politique en avril 1989, quand elle a été désignée Secrétaire Générale du S.N.T.E. Or, à ce moment-là le pouvoir gouvernemental était aux mains de Carlos Salinas de Gortari, politicien mexicain, membre du P.R.I. (Partido Revolucionario Institucional) élu d’une manière contestable en 1988.

Cela fait donc depuis 24 ans que la polémique a commencé. L’opposition du P.R.I. soutenait que la nouvelle administration du corps des professeurs n’était qu’un cadeau intéressé offert à Gordillo. Une offre d’une bienveillance réciproque. La femme d’origine du Chiapas récupérait ainsi un poste prestigieux, alors que Carlos Salinas de Gortari pouvait s’assurer de l’appui des professeurs et de leur soutien pour les échéances électorales futures. Le S.N.T.E. en a même perdu son essence protestataire, pour être utilisé dans un but politique.

Elba Esther Gordillo, avant le 26 février 2013.

Elba Esther Gordillo, la femme la plus puissante du Mexique.

Le pouvoir de cette femme a, néanmoins, augmenté considérablement avec les années, elle a réussi à exercer divers postes politiques à l’intérieur même de la politique mexicaine, ce qui était impensable pour une personne étant en même temps syndicaliste [elle a été élue 3 fois en tant que député du District Fédéral (le nom de la capitale du pays, Mexico DF) et à une occasion en tant que Sénatrice, tout cela représentant le P.R.I., le parti qui l’a installé à la tête du S.N.T.E., ndb].

Néanmoins, comme dit l’adage, chaque histoire d’amour a une fin, et celle entre le P.R.I. et « Elba Esther » s’est rompue quand la politicienne n’a pas voulu reconnaître sa défaite lors des élections internes du parti pour décider du futur président du Comité Exécutif [le président du parti] en 2005. Dès lors, la femme la plus puissante du pays a tout tenté pour mettre des bâtons dans les roues de son ancien allié. Elle a, par exemple, fondé un nouveau parti, la « Nueva Alianza » [la Nouvelle Alliance]. Il s’agit d’un mouvement à l’idéologie néolibérale composé des proches de Gordillo, anciens membres du syndicat, qui selon les rumeurs ont été « forcés » de rejoindre le parti afin d’augmenter le capital politique du groupe sous peine de perdre leurs bénéfices syndicaux.

Le Gouvernement Fédéral contre le Syndicat National des Travailleurs de l’Éducation. 

Le panorama électoral du Mexique pour les élections de juillet 2012 n’était pas réellement favorable au P.R.I., absent du pouvoir depuis les deux derniers mandats du président Fox et du président Calderón (du P.A.N. [Partido de Acción Nacional]). La seule possibilité pour le P.R.I. était donc de sceller plusieurs alliances comme avec le parti écologique (Partido Verde Ecologista de México) et la « Nouvelle Alliance » d’Elba Esther afin de s’assurer de la future élection du candidat Peña Nieto. Cependant, Gordillo n’allait pas se vendre sans contrepartie, elle a donc finalement obtenu en échange 2 places de sénateurs qui étaient destinées à sa fille et à son gendre, comme quoi la corruption a bel-et-bien toujours sa place dans le pays aztèque. Néanmoins, l’accord n’a pas vu le jour, le P.R.I. ayant promis quelque chose d’utopique afin de s’attirer l’aide de Gordillo pour les élections. Ayant eu vent de cette « malversation », la leader syndicale s’insurgea et décida de présenter un candidat contre Peña Nieto, en la personne de Gabriel Quadri.

Élections présidentielles et vendetta politique. 

Les élections présidentielles de juillet 2012 ont été facilement gagnées par le P.R.I. de Peña Nieto, malgré des accusations de fraudes de la part de ses opposants. La vendetta politique pouvait commencer dès le 1er janvier, jour de prise de possession du nouveau président. Pour le P.R.I. qui a retrouvé le pouvoir après 12 ans de disette il fallait à tout prix se débarrasser de la leader du S.N.C.T. Il était tout simplement impensable de lui pardonner sa décision de présenter un candidat dissident. 

La volonté de vengeance, conjuguée à l’impopularité de Peña Nieto, dont la légitimité était contestée dès sa prise de pouvoir, a obligé le parti à trouver une manière de générer un climat de confiance dans le pays. L’idée était donc simple : arrêter la femme la plus puissante de la nation, mais qui était coupable d’une corruption dont la réputation était devenue internationale. Elba Esther Gordillo était donc la cible d’un pouvoir cherchant tout simplement à la sacrifier sur l’autel public pour tenter de sauver les apparences. 

Elba Esther Gordillo en compagnie du président du Mexique, Enrique Peña Nieto.

Le Jugement Dernier. 

Ce pari a donc été relevé le 26 février 2013, quand la Justice mexicaine a arrêté Elba Esther, l’accusant de détournement d’argent du syndicat vers ses comptes personnels. La réalité est proche. L’opinion politique le savait depuis des années, Elba Esther a disposé de nombreuses chirurgies avec les fonds du S.N.T.E. ou de la « Nouvelle Alliance », sans parler des 59 HUMMERS que la syndicaliste a offert à ses proches collaborateurs, en passant par les nombreuses propriétés de Gordillo ou encore son jet privé. 

La nouvelle de l’arrestation de Gordillo a eu un impact immédiat pour l’opinion publique mexicaine, à la manière de la libération de Florence Cassez, le P.R.I. a donc réussi son coup. Les médias ont été focalisés sur l’évènement, décrit comme étant le premier pas de l’administration Peña Nieto contre une corruption au niveau national. 

Cependant, au même moment, les groupes contestataires, et les réseaux sociaux, ont commencé à dénoncer l’attitude de P.R.I., considérant cette affaire comme « un coup politique ». Les enquêtes d’opinion ont, en effet, dès la date de l’arrestation de Gordillo, grimpées en flèche en faveur du gouvernement au pouvoir [une augmentation de 6 points d’opinion favorable pour le Président en une journée, ndb].

L’autre point délicat était le suivant. La réforme de l’éducation promise par Peña Nieto stagnait, face aux refus total des professeurs et surtout du S.N.T.E. contrôlé par Gordillo, toujours aigrie. Le seul moyen de faire passer cette promesse n’était-il pas de se débarrasser une fois pour toute de la barrière qu’elle représentait ?

L’arrestation d’Esther Gordillo le 26 février dernier a donc été bien vue par l’opinion publique mexicaine, heureuse de voir enfin une des figures les plus corrompues derrière les barreaux. Le message n’a néanmoins pas été pleinement accepté car l’ombre de la vendetta politique et de l’arrestation intéressée plane sur ce dossier. Pour être totalement approuvé, le président Peña Nieto doit se montrer réaliste et continuer à lutter contre la corruption à grande échelle, en se focalisant par exemple sur les cas d’Arturo Montiel [ex gouverneur de l’État de Mexico, ndb], des frères Moreira [les deux ayant été gouverneur de l’État de Coahuila, ndb] qui sont connus pour beaucoup d’actes illicites mais qui sont membres d’un bloc du P.R.I. trop influent et proche du pouvoir pour être détenus.

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