Le phénomène est ancien et connu de beaucoup de gens. Le Mexique a toujours assemblé les pièces conçues par le cerveau américain et cela depuis un temps difficilement chiffrable. La révolution texane de 1836 et l’acquisition officielle de l’état du Lone Star State par l’Union en 1845 est peut-être le réel point de départ de cette mainmise économique affichée par le pays du Star and Stripe sur celui de l’Águila y del Nopal[1]. Le débat entre les historiens est vaste et les avis divergent, d’autres préférant se focaliser sur l’évènement phare de la Destiny Manifest, lorsqu’en 1848 les États-Unis ont pris possession des terres allant de l’Ouest de la Louisiane actuelle, jusqu’à la Californie[2]. Terres qui étaient mexicaines avant cette date. Toujours est-il que les Mexicains ont dès lors pris l’habitude de vivre dans l’ombre du voisin du nord, le pays se trouvant culturellement très proche de Washington D.C. Les Chicanos pour reprendre le terme américain désignant les habitants du Mexique ont même pour phrase fétiche le proverbe : « Quand les États-Unis éternuent, les Mexicains tombent malades ». L’économie mexicaine a en effet l’habitude de s’effondrer au moindre petit signe de faiblesse du moteur américain, l’exemple de la crise actuelle en est le parfait témoin. Les grandes firmes internationales comme Coca-Cola, General Motors installant leurs usines au Mexique cherchent surtout profiter d’une main d’œuvre pas chère et géographiquement proche de leur pays. Le constat est malheureusement similaire avec l’installation des call-centers américains au Mexique.
Porte-Gobelet et Superbowl.
Les Maquiladoras, ces ateliers géants américains postés dans les villes frontières ont fleuri à partir de la décennie 1980. Faisant ainsi à la frontière américano-mexicaine d’être une des zones économiques les plus actives du monde concernant les échanges légaux et illégaux[3]. Il se trouve cependant que la dépendance de Mexico D.F. envers son voisin du nord a encore évolué. Mais le constat ne fera pas bondir les Américains de leurs fauteuils ; le papier ne fera pas réagir un pays où les designers automobiles ont été les premiers à intégrer dans leurs modèles les porte-gobelets ou autres tablettes tant utiles pour un lunch par définition rapide ; la nouvelle n’aura pas d’impact pour les téléspectateurs du Superbowl qui font de cet évènement sportif également l’évènement le plus lucratif pour les services de nourritures rapides et cela à l’échelle mondiale. Le pays qui consomme le plus de pizzas au monde, bien devant les Français seconds et autres Européens, a du mal à faire face à la réalité de la délocalisation des call-centers à vocation alimentaire à l’étranger.
Multinationale poulpe et révolution des call-centers.
Ceci n’est pas nouveau, tous les lecteurs et membres de la rédaction ont sûrement déjà eu affaire à un membre des services après-vente d’Orange, de Bouygues Télécom ou d’Ikea balbutiant un inaudible « Bonjour je suis Georges, en quoi puis-je vous aider ? » Quand sa véritable idéntité n’était autre que Nourredine, père de famille marocain quinquagénaire ayant eu la chance d’avoir appris le français et le mettant donc en pratique dans les calls-centers. Si l’idée de recevoir les appels téléphoniques dans un centre d’appel est ancienne, celle de les délocaliser l’est moins. Les plaintes concernant l’abus de ce procédé par certains groupes français comme Orange ou SFR se sont multipliées ces dernières années.
Des pizzas au pays du tacos.
Mais depuis le début de la décennie 2010, le leader mondial de restauration rapide, Domino’s Pizza, s’est lancé dans le regroupement des appels d’attente. Certes l’idée est différente de la délocalisation du service après vente habituellement pratiquée en France pour les groupes de téléphonie français par exemple, mais reste proche du thème phare des calls center, lesquels permettent à grande échelle de répondre aux clients dans un laps de temps record. La firme fondée au Michigan en 1960 par les frères Monaghan et qui compte près de 9 000 points de ventes dont près de 206 en France a eu l’ambition de transférer les appels de l’Américain affamé dans les divers call-centers du pays au moment où le livreur du coin de la rue était débordé de commande. Mais poussant l’idée plus loin encore, la firme a délocalisé depuis le début de l’année 2012 ses centres d’appels spécialisés dans les pizzas au Mexique, pays du tacos.
14ème étage et casquette de gangsters des rues.
Les deux villes utilisées comme laboratoires tests sont Monterrey, la ville la plus américaine du Mexique, et la dynamique Aguascalientes, surfant sur les succès des entreprises Nissan ou Coca-Cola. Fraîchement installés dans un des seuls « buidings » de la ville capitale de l’Etat éponyme du centre du pays, qui ne dépasse pas les 14 étages, les membres du call-centers se sont lancés dans une campagne de recrutement ambitieuse. L’idée était de payer excessivement les futurs employés pour les attirer, en leur promettant divers bonus, tout en se montrant négligeant sur le style vestimentaire et sur les diplômes de leurs employés. L’économie que fait Domino’s Pizza, en installant son service d’appel au Mexique est de 90% par rapport aux dépenses qu’ils auraient engagé aux Etats-Unis. Le problème du recrutement quant à lui n’est pas très important : trouver des anglophones dans un pays frontaliers avec les États-Unis, où presque toutes les familles ont un parent installé dans le pays de l’Oncle Sam est évidement facile. D’où l’idée d’accepter tout le monde sans exception, en désaccord total avec la culture du pays où bien s’habiller est devenu un art important pour travailler.
Pochos et Décalage horaire.
Les pochos, pour reprendre les termes mexicains, ces mexicains de culture américaine ayant grandi aux Etats-Unis, sans grande éducation, aux tatouages prépondérants, aux casquettes de gangsters des rues mais sachant parler un anglais parfait, sont donc les bienvenus. Ces derniers abondent dans le pays depuis la chute de l’économie américaine et l’apparition d’opportunités réelles liées au développement du Mexique, surtout dans les villes de Monterrey et d’Aguascalientes. La méthode de ces centres d’appels est très intelligente mais se résume simplement : proposer un salaire mirobolant aux Mexicains. Ceux-ci étant habitués depuis des générations à travailler durement pour gagner très peu (tout cela sans systèmes de retraite ou d’assurance maladie), la démarche a créé un véritable vivier de main d’œuvre qui semble inépuisable.
Par ailleurs, l’idée d’installer un call-center sur le même fuseau horaire que celui de Chicago est remarquable, lorsque l’on sait que la Wind City est traditionnellement assimilée par les Géographes comme étant la frontière historique de l’Est et de l’Ouest des États-Unis. Ainsi, en installant un centre au Mexique plutôt qu’en Inde les businessmen de Domino’s Pizza ont réussi à avoir des employés couvrant totalement les horaires américains, la Californie, zone plus à l’Ouest du pays étant à seulement 2 heures de décalage. D’importantes économies sur les heures de nuits majorées ont donc profité à l’entreprise.
Le call-center de Domino's Pizza trône au 14ème et dernier étage de cet immeuble de la ville d'Aguascalientes. |
Du Diet
Dr Pepper au « shut up you
fucking mexican ».
Pendant le travail, le changement
de nom est de rigueur : on ne parle plus à Juan mais à John, Roberto
laisse sa place au bon vieux Robert ou Bob pour les intimes, et les clients n’y
voient que du feu. L’idée d’assimilation des Mexicains travaillant dans le lieu
est certaine. Les jours fériés mexicains par exemple n’existent pas, les
Américains continuant à manger des pizzas en ces occasions, alors qu’en
revanche les vacances de Thanksgiving, fête totalement ignorée au Mexique, sont
généreusement données aux travailleurs. De plus les règles sont écrites noire
sur blanc : il ne faut pas dire à l’interlocuteur que l’appel a été
transféré au Mexique, sauf si ce dernier le demande, et donc il faut exécuter
la commande du « Peperroni and
Cheese, Extra Large with a Diet Dr Pepper » comme un natif et éviter à
tout prix d’éveiller les soupçons. Cela permet d’esquiver ainsi certains
« Oh, dear Lord, I love Mexico, could
you bring me some burritos, better than a Pizza » mais surtout les « Oh shut up you fucking mexican or indian »,
l’indifférence restant l’alliée des dollars et l’ennemie du racisme quotidien.
Education et Picsou.
L’accueil de ces call-centers est
toutefois un rêve pour les villes mexicaines qui se sont empressées de répondre
à l’appel d’offre. L’opportunité offre le contrôle de ces pochos problématiques dans les quartiers les plus difficiles tout
en exprimant au monde entier, ou du moins aux Américains, leur savoir-faire
dans la gestion des affaires et de souligner la qualité de leurs
infrastructures. Le rêve de l’humaniste aurait été de voir dans ces
installations multiples un développement de l’éducation, voir des carrières
universitaires d’anglais bondées, ou même des maîtres et professeurs augmentés
pour former de véritables machines à parler deux langues et donc prêtes ensuite
à se lancer dans des carrières plus honorables telles que celles d’avocats ou
de médecins. Les étudiants auraient par exemple pu avoir la chance d’étudier
aux Etats-Unis, pays si généreux quand il s’agit de bourses d’études sur leur
territoire.
Mais malheureusement et contrairement à cela, les firmes de call-centers ont préféré refroidir les rêves des hommes pour privilégier le plaisir de collectionner les zéros sur les comptes en banque, refusant d’arranger les horaires difficilement digérables pour les étudiants qui travaillent avec eux et ainsi pour ne se retrouver qu’avec les pochos sans éducation et donc sans revendications. Ou comment contrôler les masses sans faire face à certaines obligations salariales ou humaines. D’un côté, travailler, pour ces pochos est synonyme d’indépendance, de l’autre côté pour les chefs de Domino’s Pizza lesdits pochos ne resteront qu’une vulgaire économie noyée dans la piscine de Picsou. Il n’est donc pas certain du tout que le Mexique profite pleinement de ce nouveau marché qu’offrent les call-centers alimentaires américains dans leur pays dans la mesure où ceux-ci risquent fort de délaisser des domaines primordiaux et sur lesquels ils devraient se concentrer plus spécifiquement.
Mais malheureusement et contrairement à cela, les firmes de call-centers ont préféré refroidir les rêves des hommes pour privilégier le plaisir de collectionner les zéros sur les comptes en banque, refusant d’arranger les horaires difficilement digérables pour les étudiants qui travaillent avec eux et ainsi pour ne se retrouver qu’avec les pochos sans éducation et donc sans revendications. Ou comment contrôler les masses sans faire face à certaines obligations salariales ou humaines. D’un côté, travailler, pour ces pochos est synonyme d’indépendance, de l’autre côté pour les chefs de Domino’s Pizza lesdits pochos ne resteront qu’une vulgaire économie noyée dans la piscine de Picsou. Il n’est donc pas certain du tout que le Mexique profite pleinement de ce nouveau marché qu’offrent les call-centers alimentaires américains dans leur pays dans la mesure où ceux-ci risquent fort de délaisser des domaines primordiaux et sur lesquels ils devraient se concentrer plus spécifiquement.
[1] La région du Texas, qui
appartenait au Mexique a fait face à une révolution en 1835 qui a débouché sur
l’indépendance de l’état en 1836 (mais qui était officieusement proche des
États-Unis). Néanmoins l’état devint officiellement américain qu’en 1845,
déclenchant la guerre américano-mexicaine de 1845 à 1848.
[2] Le vote du Congrès
américain, en 1845 confirmant l’adhésion du Texas à l’Union a déclenché la
fureur de Mexicains qui se sont lancés dans une guerre intense jusqu’en 1848 où
le traité de paix de Guadalupe Hidalgo du 2 février confirma la victoire
américaine. Le Mexique céda les terres à l’Ouest de la Louisiane actuelle à
l’Union, soit près de 1,36 millions de km² de territoire contre la somme de 15
millions de dollars
[3] Ce n’est effectivement pas
un hasard si les cartels de drogues du Sonora, de Chihuahua, du Nuevo Leon,
voir du Tamaulipas sont les plus puissants du pays. Les villes de Mexicali,
Tijuana et surtout Ciudad Juarez, toutes frontalières des États-Unis et devenues
de véritables entrepôts de drogues, font parties des villes les plus du monde.
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