Voilà maintenant treize jours que le
métro de Buenos Aires ne circule plus, embourbé dans une grève qui
s'éternise et dont aucun des acteurs en présence n'arrive à sortir. D'un
côté, le syndicat – la Asociación Gremial de Trabajadores del Subte y
Premetro (AGTSyP) – réclame une hausse de 28% des salaires, de l'autre,
l'entreprise concessionnaire Metrovías assure ne pouvoir faire face à
une telle augmentation salariale. L'AGTSyP, représenté par des
metrodelegados (des « métrodélégués »), refuse de revoir ses exigences à
la baisse et campe sur ses positions depuis début août, paralysant
ainsi plus d'un million d'usagers, dans une métropole argentine qui
compte pour une des villes les plus peuplées d'Amérique Latine. Le
secrétaire adjoint de la AGTSyP, Néstor Segovia, a été jusqu'à affirmer
le 11 août dernier que cette grève était désormais à « durée
indéterminée », laissant planer le doute sur une prochaine solution à
l'amiable dans ce conflit.
Parmi
les forces en présence, en plus du syndicat des métrodélégués et de
l'entreprise Metrovías, l'on retrouve en effet également l'UTA – le
deuxième syndicat des employés du métro portègne [Portègne : Habitant de
Buenos Aires, ndb], la Unión Tranviarios Automotor. L'UTA ne reconnaît
pas la légitimité des métrodélégués à représenter les employés dans les
conflits qui l'opposent à l'entreprise concessionnaire et fait peu de
cas de leur capacité de médiation. Le syndicat a d'ailleurs accepté le
10 août une offre de Metrovías d'augmenter les salaires de 23%. La grève
se prolonge donc, sur fond de conflits syndicaux et de revendications
salariales…
De la grève et des tensions sociales.
Le
croissant mécontentement des usagers cristallise bon nombre de tensions
et rend la situation dans la capitale argentine comparable à ce
qu'était le climat social en 2010, lors de l'occupation du parc
indo-américain (la ocupación del parque indoamericano) : en décembre
2010, la police essaya de déloger par la force des immigrés –
majoritairement paraguayens et boliviens – qui occupaient illégalement
le parc indo-américain, dans le quartier de la Villa Soldati. L'on
assista rapidement à une escalade de la violence, les résidents vivant à
proximité du parc prenant alors la relève de la police pour déloger les
occupants clandestins, allant jusqu'à tirer sur ces derniers.
Si
les acteurs du présent conflit ne sont pas les mêmes, les résultats
sont en revanche assez similaires et consistent principalement en une
tension sociale exacerbée. En 2010 comme maintenant, le maire de Buenos
Aires, Mauricio Macri, s'est vu obligé d'intervenir en personne pour
justifier ses choix, dénoncer les dysfonctionnements expliquant à
l'origine de telles perturbations du système et proposer des solutions.
C'est ainsi que dans un intervalle très court, Mauricio Macri a accepté
d'être interviewé à la fois par La Nación et Clarín,
deux des plus importants quotidiens argentins. Ce besoin de communiquer
ressemble fort à un besoin de se justifier, même si le maire y passa le
plus clair de son temps à faire retomber la faute sur d'autres membres
de la classe politique argentine.
La
crise aurait pu s'arrêter là et déboucher sur des négociations entre
syndicats, entreprises et élus locaux mais il n'en est rien. Le 12 août,
le gouvernement de Buenos Aires a décidé de sanctionner les
métrodélégués pour n'avoir pas respecté le compromis obligatoire qui
avait été décrété 48 heures auparavant. Résultat : ils doivent
s'acquitter d'une amende de près de 5 millions de pesos (environ 885 000
euros). Ces tensions tous azimuts se doublent de fortes tensions
politiques.
Quand la crispation sociale devient un bras de fer politique.
Depuis peu, la gestion du service des transports est passée de l'Etat à la ville de Buenos Aires, par une loi du Congrès National et sur l'injonction de Cristina Kirchner, l'actuelle présidente de la République argentine. La juridiction de la capitale a d'abord refusé ce transfert et accuse Madame Kirchner de vouloir décrédibiliser Mauricio Macri en lui rendant la gestion des services de sa ville plus que difficile. Les subsides reversés à la société concessionnaire ont en effet soudainement été réduits de moitié. Dans ce climat, l'on comprend mieux pourquoi les grèves fleurissent et se greffent si bien sur un système handicapé par des règlements de compte politiques.
L'animosité entre Kirchner et Macri ne date pas d'hier et cette querelle autour du métro portègne ne fait que refléter des dissensions plus profondes au sein de la classe politique. Le maire de Buenos Aires s'est, en effet, emparé de ce conflit social pour vitupérer contre une politique péroniste – à laquelle Cristina Kirchner se rattache – qui entendrait soumettre les différents rouages de la société à sa volonté, sur le modèle d'un Chavez au Venezuela. Les conflits entre la ville de Buenos Aires et le gouvernement émaillent l'histoire du pays et permettent chaque fois de voir s'affronter des hommes politiques se réclamant du péronisme – de Juan Perón, président de la république de 1946 à 1955, qui marqua durablement la vie politique argentine – et d'autres de tendance plus libérale. Les usagers devraient donc peut-être s'en prendre à une classe politique partisane, qui privilégie les intérêts particuliers au détriment des intérêts des citoyens, plutôt qu'aux syndicats, qui réagissent avec leurs moyens aux changements brutaux que vit en ce moment la métropole argentine.
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