22 février 2013

L'affaire CAVIM, illustration des tensions entre les Etats-Unis et le Venezuela.


Les dirigeants latino-américains peuvent se féliciter de la nomination de John Kerry au poste de secrétaire d’État [équivalent du ministre des Affaires étrangères, ndb] par Barack Obama. L’arrivée de ce vieux roublard des relations internationales est une nouvelle encourageante pour les pays du sud du continent américain.

Un humaniste secrétaire d’État pour traiter avec un Venezuela affaibli.

Ce catholique (ce dont les Latino-américains avaient bien besoin après la défection du Pape), fils de diplomate, polyglotte et érudit a notamment été le président de la puissante commission des affaires étrangères du Sénat américain, sorte de chimère politique aux idées disparates mais dont l’influence est vue comme une pierre angulaire diplomatique par tous les pensionnaires du 1600 Pennsylvania Avenue [l'adresse de la Maison-Blanche]. Sa vision humaniste a souvent été favorable aux Latino-américains au cours des dernières décennies. Le natif du Colorado a par exemple été l'un des seuls hommes politiques à critiquer l’attitude ambiguë de l’omnipotente CIA des années Reagan lors des troubles au Nicaragua sandiniste [l'aide des Etats-Unis aux Contras, rebelles qui s'oppose au gouvernement sandinistes (gauche), ayant été suspendue par le Congrès, la CIA a poursuivi son soutien d'une manière illégale grâce à des ventes d'armes à l'Iran, ce qui a donné lieu au scandale de l'Irangate en 1989, ndb].

Barack Obama saluant son nouveau secrétaire d'Etat, John Kerry, successeur d'Hillary Clinton.

Alors qu'Obama a promis une réforme de l’immigration qui aura de nombreuses répercussions sur le reste du continent[1], l’autre point sensible qui peut rendre encore plus pertinente la nomination de John Kerry à ce poste serait une volonté de faire renaître de leurs cendres les relations avec les « Etats voyous » du continent que sont Cuba et le Venezuela. L'idée semble envisageable, étant donnée la grave maladie du président Chávez, qui affaiblit considérablement l’influence du Venezuela et de ses alliés. L'absence du regard moralisateur et critique de Chávez dans le paysage politique du continent américain se fait en effet sentir et le prestige de ses « disciples » Nicolás Maduro et Diosdado Cabello ne saurait remplacer celui de leur maître politique.

L'affaire C.A.V.I.M. ruine les espoirs de normalisation des relations.

L’espoir était donc de rigueur des deux côtés afin de régulariser des relations qui étaient jusque là tendues avant qu'une crise entre les deux pays liée à l’industrie C.A.V.I.M (Compañía Anónima Venezolana de Industrias Militares) ne vienne compliquer la situation. L’affaire C.A.V. I.M. comme l’appellent déjà les journaux latino-américains n’a eu aucun écho en France, occultée par les nouvelles sur le scandale du « horsegate » et sur l’approbation du mariage homosexuel après avoir tant divisé le pays. Reprenons donc les faits. Le 12 février dernier, le gouvernement des États-Unis a annoncé avoir pris des sanctions exemplaires contre une douzaine d’entreprises d’armements venant notamment du Soudan, de Chine, de Biélorussie et du Venezuela . Le département d’État de John Kerry affirmait en effet que « des armes et des équipements militaires technologiques [...] avaient été transférés ou vendus à l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie » par lesdites entreprises. 

Les charges semblent être réelles, contrairement au prétexte irakien des armes de destructions massives de Saddam Husseïn. Ces entreprises violeraient donc la loi du Iran, North Korea, and Syria Nonproliferation Act Sanctions (INKSNA). Cette loi votée en 2000 par le Congrès américain et qui n'était à l'origine qu'un embargo militaire envers l'Iran (Iran Nonproliferation Act), a été complétée par l'ajout de la Syrie en 2005 et de la Corée du Nord en 2006. La présence de l’entreprise d’armement vénézuélienne C.A.V.I.M. dans cette short list peu flatteuse n’est en fait pas une surprise en soit.

Entre livraison d'armes et transfert de devises.

Il faut dire qu'ABC, le très sérieux quotidien espagnol, toujours bien informé, dénonçait depuis quelques mois déjà (à juste titre) les relations entre l’entreprise d’armement vénézuélienne et l’Iran. Il avait notamment mentionné la livraison de drones, ce qui a poussé Chávez à reconnaître officiellement la possession de drones. Par ailleurs, l’explosion d’une usine C.A.V.I.M. il y a un un peu plus d'an [une usine de la Compagnie a explosé à Maracay le 30 janvier 2012, déclenchant un feu difficilement contrôlable et faisant de nombreux sinistrés, ndb] a attisé les soupçons de Washington face aux agissements de la société sud-américaine. Une dernière information, elle aussi, dévoilée par ABC, a fait état d'une lettre de l’ambassadeur iranien en poste à Caracas, adressée à Maduro, qui était alors ministre des Affaires étrangères. L'existence de ce courrier suggère une possible coopération entre des banques des deux pays en matière de transfert de capitaux, ce qui pourrait coûter cher au gouvernement vénézuélien.

La correspondance de l'ambassadeur iranien à Caracas avec le ministre des Affaires étrangères de Caracas, Nicolás Maduro,
évoquant des possibles échanges bancaires entre les pays, révélée par le journal ABC.


Depuis l’arrivée de Chávez au pouvoir en 1999, les relations entre la République Bolivarienne du Venezuela et les États-Unis sont plus que difficiles. Le leader bolivarien ne manque pas une occasion de se démarquer des États-Unis en critiquant la posture impérialiste de Washington [on garde en mémoire son discours anti-impérialiste à l'Assemblée générale des Nations Unies en 2006 par exemple (12), ndb] et s’obstine à entretenir des liaisons dangereuses avec les plus grands ennemis des Américains, tels Cuba, la Chine ou encore l’Iran. Chávez est en effet coutumier des visites à scandales, que ce soit à la capitale cubaine de La Havane, où il se fait actuellement soigner, mais aussi à Téhéran, où il s’est rendu plus d'une quinzaine de fois depuis son accession au pouvoir.

Anniversaire de la Révolution et embargo militaire.

Or, depuis l’embargo militaire face à la République Islamique, Caracas flirte de plus en plus avec le côté obscur de la force. L’attitude provocante de Chávez a entraîné son pays vers un cercle vicieux car ses disciples qui assurent l'intérim se sont empressés d’adresser leurs « sincères félicitations pour la célébration du 34ème anniversaire de la Révolution » iranienne, en la qualifiant « de mouvement populaire historique qui a réussi à abolir une monarchie pro impérialiste ». Ce type de déclaration a le don d’exaspérer les diplomates nord-américains.

La nature des sanctions qu’ont pris les Etats-Unis contre la douzaine de sociétéd d’armements ayant trafiqué avec les rogue state [les états voyous, liste officieuse d'Etats que Washington considère comme dangereux ou non-coopératifs dans des champs tels que la non-prolifération, ndb] n’a pas été dévoilée par la presse mais certains parlent de pressions pour que les industriels américains, voire les Etats alliés aux Etats-Unis, ne puissent pas traiter avec ces firmes.

Il faut dire que les Américains veulent éviter à tous prix que l’Iran puisse disposer d’un pays ami si proche de leurs propres frontières, notamment en cas de guerre directe entre les deux pays. Face à ces accusations, les Vénézuéliens n’ont pas hésité à se défendre, en affirmant que les menaces américaines ne feraient aucun effet sur leur politique extérieure et en dénonçant l’impérialisme et l’ingérence croissants d’Obama.

Un point de vue radicalement différent de la part de Caracas.

Le député vénézuélien et président de la commission de défense du pays, William Fariña, affirmait ce 12 février que les Vénézueliens « refusaient catégoriquement l'attitude du gouvernement américain qui était habitué à manquer de respect aux pays du monde entier en les classant dans leurs listes de bons ou de mauvais pays ».  Fariña déclarait également que le Venezuela est « un pays souverain » qui a « le droit de négocier, échanger ou commercer avec n'importe quels peuples ou nations du monde ». Le député a terminé son allocution en concluant que « les échanges réalisés par CAVIM étaient strictement d'ordres technologiques et qu'ils ne mettaient pas en danger la sécurité nationale des Etats-Unis ou de n'importe quel autre peuple »Un point de vue radicalement différent.

Toujours est-il que la scène géopolitique de l’Amérique du Sud reste sous le feu des projecteurs malgré l’arrivée de John Kerry au poste de secrétaire d’État. L'ambition d’Obama de se réconcilier avec un Venezuela actuellement orphelin d’Hugo Chávez convalescent semble difficilement réalisable.

Caracas s’évertue à commercer avec les pires ennemis de Washington et en permettant des « transferts technologiques », Caracas poursuit dans la droite ligne de la politique chaviste. Il faut donc se demander si cette politique extérieure osée, voir dangereuse, ne finira pas par causer la perte du régime bolivarien. Le point sensible de l'Iran pouvant causer des répercussions américaines violentes ce qui, dans le même temps, refroidirait les alliés régionaux du Venezuela. Affaire à suivre.



[1] La réforme devrait aboutir à terme à la régularisation de 11 millions d’immigrés sans-papiers. Cette question interne aux États-Unis intéresse grandement les pays ayant de nombreux ressortissants dans le pays (Mexique, Caraïbes, Amérique Centrale, Brésil, Colombie, Pérou…) car les émigrés vivants aux États-Unis restent des soutiens financiers importants pour leurs proches puisqu'ils envoient régulièrement des fonds.

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