La tournée de Pulp, l'une des grandes figures de la pop anglaise, s'est terminée en beauté avec la présence du groupe sur le paquebot du festival S.S Coachella, voguant dans les Caraïbes. La sortie d'un morceau pour Noël nous a également mis en appétit. Mais sommes-nous en droit d'espérer plus? Revenons d'abord sur presque trente-cinq ans d'existence d'une formation qui a évolué parallèlement au mouvement Britpop (1) tout en s'en démarquant par sa genèse.
De Sheffield à Londres : un parcours sinueux
Pulp est de ces groupes dont l'ascension ne tient pas du conte de fée. Tout commence dans la ville de Sheffield. Cité du Yorkshire, plus fameuse pour ses musiciens que pour son passé industriel, notamment avec l'éclosion récente des Artic Monkeys. La légende tient plus des efforts et du rêve d'un jeune garçon, Jarvis Cocker, qui n'a de lien que le nom avec l'autre star locale, Joe Cocker. La vague du Punk qui frappe la planète dans les seventies n'échappe pas à Jarvis qui lance son premier groupe à l'âge de 15 ans en 1978. Les jeunes amis choisissent, sous l'influence de Jarvis Cocker, le nom « Arabacus Pulp ». Nom qui se fera connaître plus tard sous la simple dénomination de « Pulp ».
Leurs débuts ne sont pas brillants et le groupe a du mal à trouver une cohésion faisant face à des mésententes musicales sur un fond de pression familiale sur la plupart des membres du groupe, excepté Jarvis qui est issu de la middle class avec une mère compréhensive et encourageante. L'instabilité sera leur plus grand fléau, avec pas moins de 30 musiciens qui se succèdent en 30 ans. Pulp ressemble d'ailleurs d'avantage à un projet individuel que collectif. Jarvis, que tous qualifient de spécial, mène la barque, refusant même d'aller à l'université pour se focaliser sur la musique. Cependant, le succès reste encore limité, le chanteur excentrique se consacrant plus à satisfaire son égo auprès de la gente féminine qu'à construire des œuvres plus approfondies. Progressivement, le groupe réussit à se faire connaître, un passage à la radio, entraînant, malgré plusieurs séparations, la sortie du premier album, It, en 1983. La réussite est mitigée mais amène une reconnaissance locale. Le chemin vers la célébrité n'est qu'entamé. Jarvis enchaîne les petits boulots, notamment celui de poissonnier pour pouvoir continuer à faire vivre ses rêves.
Leurs débuts ne sont pas brillants et le groupe a du mal à trouver une cohésion faisant face à des mésententes musicales sur un fond de pression familiale sur la plupart des membres du groupe, excepté Jarvis qui est issu de la middle class avec une mère compréhensive et encourageante. L'instabilité sera leur plus grand fléau, avec pas moins de 30 musiciens qui se succèdent en 30 ans. Pulp ressemble d'ailleurs d'avantage à un projet individuel que collectif. Jarvis, que tous qualifient de spécial, mène la barque, refusant même d'aller à l'université pour se focaliser sur la musique. Cependant, le succès reste encore limité, le chanteur excentrique se consacrant plus à satisfaire son égo auprès de la gente féminine qu'à construire des œuvres plus approfondies. Progressivement, le groupe réussit à se faire connaître, un passage à la radio, entraînant, malgré plusieurs séparations, la sortie du premier album, It, en 1983. La réussite est mitigée mais amène une reconnaissance locale. Le chemin vers la célébrité n'est qu'entamé. Jarvis enchaîne les petits boulots, notamment celui de poissonnier pour pouvoir continuer à faire vivre ses rêves.
Pulp en 1982, par Marcus Feartherby.
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Toutefois, un nouveau Jarvis Cocker va naître. Il y a des éléments déclencheurs qui marquent le décollage d’une carrière : amour, décès, drogue, overdose, rupture, sexe, etc. Les exemples d'artistes influencés par ces événements ne manquent pas à l'appel. Pour Cocker, cela tient plus d'un gag qu’autre chose et cela aurait bien pu sonner la fin du groupe et même la sienne.
La scène a lieu lors d’une soirée arrosée de 1985, lorsque, voulant impressionner une fille, il chute lourdement d'une fenêtre et échappe au pire. Il déclare plusieurs années plus tard dans une interview que ce choc fut l'occasion pour lui d'une prise de conscience, « d'une sorte de moment de reprise et cela me permis de commencer à écrire d'une manière différente » (2). Il se rend compte qu'il n'est encore qu'un petit gars de Sheffield jouant dans un groupe méconnu et que son destin n'est pas forcément tout tracé. Il se concentre alors à décrire les moments d'une vie sans trop la romancer mais en en relatant la simplicité. Tel un peintre réaliste, il dessine, décrit et décrypte la société en maniant toujours l'humour de l'anodin. C'est d'ailleurs pour cela que beaucoup de fans se reconnaissent dans ses paroles qui n'hésitent pas à aborder des sujets peu communs, comme par exemple la perte de la virginité dans « Do you remember the first time? ».
Live en fauteuil roulant . |
Emporté par la foule
Le groupe surfe alors sur la vague Britpop qui émerge en Angleterre, avec les phénomènes de Blur, en passant par Oasis ou encore Radiohead. Profitant du succès commercial, les tubes se suivent dans trois albums : Separations (1992), His 'n' Hers (1994), Different Class (1995). Le monde découvre alors le déhanché du pantin à lunettes aux mouvements désarticulés et sensuels. Les hits d'un Cocker plus âgé se différencient de ceux de Damon Albarn (Blur) ou des frères Gallagher (Oasis), avec une narration très réaliste cherchant la plupart du temps une description détaillée de nos vies banales. Les thèmes sont abordés avec ironie et acidité. Ils touchent plusieurs générations, entre relations amoureuses (« Babies », « Disco 2000 », « Razzmatazz »), sexe (« Do you remember the first time », « Underwear ») et questions sociales (« Common People », « Cocaine socialism », « Last day of the Miners's Strike »).
Le zénith de la Britpop voit le jour entre 1995 et 1996 et représente également, pour Pulp, la consécration. La formation de Sheffield l'obtient véritablement avec l'album Different Class (1995), qui reçoit le prix du meilleur album de l'année par Melody Maker (4) après avoir terminé sur la seconde marche du podium l'année précédente. Nouveauté, cet album touche ouvertement à la politique, évoquant notamment les différences sociales. Dans le titre « Common People », le chanteur décrit sa rencontre avec une jeune grecque d'un milieu favorisé, qui souhaite « vivre comme des gens ordinaires ». La chanson se termine par la conclusion, réaliste, qu'elle ne parviendra en fait jamais à vivre « comme les gens ordinaires ».
Pulp - Common People.
Voici d'ailleurs un exemple des techniques d'écriture de Cocker : une description d'un fait déclaré réel (5) qui est développé minutieusement avec en toile de fond une focalisation sur les débats sociaux. Le contexte est important car la politique industrielle de Margaret Thatcher, contestée par les grandes grèves de 1984 (6), a laissé des traces sur le chanteur de Pulp. Ces chansons trouvent écho chez un mouvement politique récupéré par Tony Blair se basant sur le « Cool Britannia ». La rénovation du parti du Labour vers le New Labour reste profondément attachée aux mouvements culturels de l'époque, dont Pulp fait partie. L’évolution du pays semble en marche et l'image de Cocker est à son apogée. On le voit même, comme une partie de ses compères de la Britpop, sur la bande originale du film Trainspotting (1996).
Bifurcation ?
La notoriété, du côté de la « Perfide Albion », est souvent accompagnée par des polémiques dans les tabloïds. Pulp n'échappe pas à la règle, signant un évènement mémorable lors des Brit Awards (7) de 1996. Lors du show de Michael Jackson, Jarvis Cocker, accompagné de son ami et ancien bassiste (8), monte sur scène et ridiculise le « King of Pop » qui n'est, à l'époque, déjà plus que l'ombre de lui-même. Cocker doit ensuite se démêler de pressions policières entamées sous l'influence de Jackson. Jarvis est accusé d'avoir violemment bousculé des enfants et malgré plusieurs heures au poste, il sort libre.
Cocker concéda à la presse et à ses fans que ce coup d'éclat était dirigé contre Jackson qui, selon lui, se prenait pour le Christ : " Je ne suis même pas religieux. Mais quand quelqu'un apparaît sur scène et veut être Jésus, je crois que c'est un peu trop."(9). Ce que certains nomment le « Jarvisgate » finit par prendre de l'ampleur. Les artistes, la presse et le peuple se divisent. D'un côté Martin Clunes, Brian Eno, Neil Morrissey, Ben Mortimer, Oasis et une partie de la presse (NME et Melody Maker) encensent l'artiste jusqu'à demander qu'il soit anobli. Tandis que le comité des Brit Awards et les tabloïds anglais (Daily Mirror, Daily Mail) et américains (The Daily News et le New York Post) condamnent cette attitude dénonçant la violence de l'acte.
Pulp s'en sort finalement sans dégâts apparents malgré le poids d'un Michael Jackson, dont l'image s’est vue écornée par une figure de la classe populaire. On peut tout de même s'interroger sur l'issue final de l'intervention policière, si la scène avait eu lieu outre-Atlantique. Dix ans plus tard, l'histoire continue à faire des remous. Damon Albarn (Blur) est sorti de son silence en critiquant cette attaque contre un artiste déjà malade (10). L’évènement atteint même les plus hautes sphères du pouvoir lorsque David Cameron cite l'action de Cocker dans une interview accordée au Guardian. Parfois même jusqu'à appeler à la vengeance ,comme Questove (batteur de The Roots).
Vidéo de l'affaire.
Si l’évènement peut finalement sembler n'avoir été qu'une mauvaise blague qui aurait mal tourné, les traces sur le groupe sont, elles, perceptibles. Si réduire la noirceur de l'album This is Hardcore (1998) à l'impact de l'affaire serait réducteur, il faut peut-être y voir malgré tout un écho à cette cabale menée contre le chanteur. Dans une interview aux Inrockuptibles (11), il révèle que les angoisses l'étreignent et la part sombre sort du placard chez un leader qui prend conscience qu'il n'a rien construit en dehors de Pulp. A 37 ans, au même âge que son père lorsqu'il quitta son foyer pour l'Australie, son histoire familiale tourmentée refait surface. Il s'interroge, tous azimuts, sur le personnage qu'il a construit et sur le fait, qu'inéluctablement, il vieillit. Nous assistons ainsi à une sorte d'album-thérapie où il cherche à s'affirmer et a arrêter les excès, comme la cocaïne. Il chante distinctement ses troubles dans « I'm a man », se questionnant sur lui-même : « Je commence à me demander ce qu'est un homme, bien j'ai appris à boire, bien j'ai appris à fumer, bien j'ai appris à dire une blague salace, si c'est tout ce qu'il y a alors il n'y aucun intérêt pour moi ».
Pulp-This is Hardcore.
Curieusement, Pulp, comme la Britpop, s'essouffle au moment où Tony Blair, représentant politique de cette culture, accède au titre de Premier ministre en 1997. Après l'apogée de 1995-1996, la fin de décennie signifie le crépuscule pour le mouvement, avec l'évolution d'un style et d'une époque. Le renouveau musical est de mise avec la montée en puissance de jeunes groupes (Coldplay, Muse, The Libertines). Pulp, après quelques errements, produit son dernier opus en 2001 sous le titre de We love Life. Ce dernier album contemplatif, naturaliste et apaisé est une production qui est confrontée à des ventes moyennes par rapport aux précédents albums. Après s'être séparé de leur maison de disque, le groupe fait de même pour un «hiatus prolongé». La séparation s'étant faite sans fracas, à la différence de nombreux groupes de rock, la porte restait entrouverte pour un éventuel retour mais pour combien de temps ?
Électron libre
Jarvis Cocker dans
les Relaxed Muscle.
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A partir de 2002, la fin de Pulp permet d'entrevoir Jarvis Cocker dans un nouveau rôle, plus libre et semblant renouer avec le plaisir. L'artiste, marié à la styliste française Camille Bidault-Waddington, emménage à Paris et enchaîne les collaborations prestigieuses avec Air, Aphex Twin, Charlotte Gainsbourg, Kid Loco, Marianne Faithfull, Nancy Sinatra, etc. Pour les inconditionnels d'Harry Potter, il s'invite même sur la bande originale et fait une apparition dans le film Harry Potter et la Coupe de Feu (12). Les projets les plus farfelus l'intéressent. Il va même jusqu’à se créer un personnage comme Damon Albarn, de Gorillaz, avec un groupe intitulé les Relaxed Muscle. Ne pouvant se cacher bien longtemps après la sortie de l'album, il multiplie les prestations en live, déguisé en squelette avec une mise en scène macabre sur un son mélangeant punk et électro. Cet OVNI musical reste toujours en suspens, faisant quelques apparitions impromptues pour des chorégraphes ou dans des musées. L'ancien leader de Pulp semble avoir trouvé une nouvelle alchimie où il se réinvente, se laissant aller à ses idées les plus lubriques. Il passe de professeur d'aérobic pour enfants (Paris, 2009) à chroniqueur radio pour la BBC.
Il revient finalement vers ses « classiques » en 2006 et 2009 avec deux albums solo : Jarvis et Further Complications. Les réactions de la presse sont plutôt bonnes, l'artiste peignant un portrait délirant et humoristique de sa patrie d'origine. Dénonçant à demi-mot, tout de même, les actions militaires du pays, lors du début de la guerre en Irak qui a lieu une semaine après la naissance de son fils. Il s'attaque ensuite plus largement au monde : « Cunts Are Still Running the World » (« Les salauds dirigent toujours le monde »). Cette période, que beaucoup aurait pu considérer comme un premier pas vers la tombe, n'est en réalité qu'un pied de nez à la mort, en se jouant de son image.
Phoenix ou chimère ?
Le 25 mai 2011, dix ans après le dernier album, Pulp reprend le chemin de la scène. Étonnamment, ce départ a lieu au Bikini à Toulouse. Le groupe se reforme et la tournée s'étale jusqu'en décembre 2012, se terminant en beauté en Europe par un concert dans la ville natale de Cocker, à Sheffield. Pulp renoue avec son public en réalisant une tournée mondiale qui est une réussite : les concerts se jouent à guichets fermés. On retrouve un Jarvis Cocker au plus haut de sa forme, les Inrocks classant le live dans le Top 10 de 2012. Le set du leader débute inévitablement par « Do you remember the first time », jouant sur la nostalgie et sur une époque révolue. Les journalistes se battent alors pour avoir des aveux de Cocker sur l'arrivée d'un nouvel album. Ce dernier joue avec la presse en semant le doute mais dès avril 2012, il annonce qu'un tel album n'est pas exclu, notamment car il a « des idées » (13). Puis en juin, il confie à NME qu'il a beaucoup apprécié se remettre en selle mais qu'ils n'ont pas investi les studios, ne sachant pas de quoi leur futur serait fait. En octobre, Pulp reçoit l'Inspiration Award du magazine Q tandis que Blur rafle celui du Live Act.
L'interview qui suit la remise de la récompense met fin aux rumeurs. A la question sur les projets futurs du groupe, Cocker souligne qu'il n'y a rien de « planifié après le nouvel an... Juste une croisière avec des couchers de soleil » et ne souhaite pas alimenter les rumeurs. Cela ne l'empêche pas d'offrir pour Noël aux seuls participants du concert de Sheffield, le téléchargement du premier enregistrement depuis We love life (2001). Ce single, « After you », n'est en réalité qu'un morceau mis de côté lors du dernier album. La participation de James Murphy (LCD Soundsystem) lui donnant tout de même une teinte beaucoup plus moderne. Le morceau débute par une introduction acoustique avant de fondre dans le génie de Murphy avec un beat disco qui associe des influences funk à une grande voix de la pop.
N'est-ce qu'une mise en bouche vers une nouvelle aventure ou serait-ce le dernier témoignage de Pulp ? Info ou intox ? Telle cette intervention inédite sur scène devant le légendaire Jackson, Jarvis Cocker arrivera toujours à être là où on ne l'attend pas.
Pulp - Live- After You
2 Février 2013: premier passage télévisé après 10 ans de silence.
1 Britpop :
mouvement britannique des années 1990 influencé par le rock des
sixties et seventies, marquant le renouveau du rock anglais sur la
scène mondiale.
2 Interview par Stephan Merchant pour la BBC dans l’émission Chain Reaction.
3 New
Musical Express (NME): hebdomadaire culturel britannique étant
particulièrement influent dans le milieu de la musique.
4 Melody
Makers: journal musical
britannique, le plus ancien du monde jusqu'à son arrêt en 2000.
5 Le
chanteur a ainsi déclaré que cette histoire était basée sur un
fait réel. Néanmoins l'investigation
lors du documentaire de la BBC sur Pulp « The story Of…
Pulp's Common People » s’est avérer infructueuse
pour retrouver le témoignage de la jeune fille.
6 Les
grèves de 1984-1985 sont liées à l'annonce de la fermeture des
mines de charbon au Royaume-Uni, touchant plus précisément le Pays
de Galles et le Yorkshire.
7 Brit
Awards : l'une des plus grandes récompenses de Grande-Bretagne
organisée par la British Phonographic Industry
8 Peter
Mansell (Bassiste de Pulp 1983-1986).
9 Propos
prononcés lors du concert à Cardiff le 21 février 1996.
10 "I
found it really disturbing when he pulled his pants down in front of
Michael Jackson — that just seemed really wrong. If someone is
sick, he's not open to ridicule."
11 du 25 au 31
Mars 1998.
13 Interview
en avril 2012 par Shortlist.
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