30 octobre 2013

Photographe de guerre : au plus près de la guerre civile syrienne.


Les photojournalistes ont fait – et font toujours – rêver des générations de reporters en herbe. Le 22 octobre 2013, Robert Capa aurait dû avoir cent ans s’il n’avait pas trouvé la mort en Indochine le 25 mai 1954. Par son panache, son courage et son engagement, Capa a contribué à créer – et en grande partie mythifier – une profession. JM Lopez est un photoreporter qui mériterait d’être considéré comme un digne héritier du génial hongrois. Formé à la photographie à l’école des arts et métiers d’Oviedo, JM Lopez a essentiellement travaillé pour La Crónica de León jusqu’en 2009. Il décide par la suite de devenir indépendant et multiplie les escapades loin de son Espagne natale : Iran, Kosovo, Haïti, Guatemala… Il collabore depuis avec les plus prestigieuses publications mondiales comme le New York Times, Le Monde ou encore El País. Pour LPO, il a accepté de partage son expérience de reporter en temps de guerre.

Tu viens de rentrer d’Alep en Syrie, peux-tu nous décrire la situation actuelle dans cette zone, notamment entre les rebelles et l’armée syrienne ?

La situation actuelle en Syrie est très compliquée. D’un côté, il y a l’armée régulière syrienne et de l’autre tous les groupes rebelles. Aucun des deux clans ne semble suffisamment fort pour l’emporter sur l’autre et la guerre est à présent entrée dans une phase d’enlisement. De plus, l’apparition de groupes islamistes proches d’Al-Qaïda chez les rebelles a entraîné beaucoup de tensions au sein de l’ASL (Armée Syrienne Libre, ndlr) allant même jusqu’à l’affrontement, comme ce fut également le cas face aux Kurdes.

Tu étais au cœur des combats en Syrie. As-tu été témoin d’usage d’armes non-conventionnelles ?

Non, jusqu’à présent je n’ai pas été personnellement témoin de ce genre d’attaques mais j’ai des collègues qui, eux, l’ont été.

Le neuf octobre, le premier ministre français a rendu public l’enlèvement de deux journalistes français : Nicolas Hénin et Pierre Torres. Reporters Sans Frontières parle d’une « recrudescence inquiétante du nombre d’enlèvements ». Te sentais-tu menacé lorsque tu étais en Syrie ? Ce risque est-il un sujet de conversation entre reporters ? Comment peut-on s'en protéger ?

Le problème des enlèvements de journalistes en Syrie est à ce point critique que peu nombreux sont ceux qui aujourd’hui se risquent à travailler là-bas. Les groupes islamistes kidnappent tous les étrangers qu’ils rencontrent et offrent même une récompense à qui le leur en livrera un. Il est très difficile de se protéger face à cela, il faut juste beaucoup d’expérience, de très bons contacts et beaucoup de chance.
Bien connaître la zone dans laquelle tu te rends et se faire le plus discret possible font aussi parties des précautions qu’il faut prendre. De plus, il faut toujours aller sur le terrain escorté par une brigade en laquelle tu as une confiance absolue.

Tu as choisi de travailler en tant que freelance. Ce statut te donne-t-il l’impression de prendre plus de risques qu’un agencier ou qu’un photographe qui possède l’appui d’une rédaction ? As-tu un guide qui t’informe sur la zone de combats ? Comment as-tu réussi à entrer en Syrie ?

Lorsque l’on est confronté à ces situations, je pense que les risques sont les mêmes pour tous. En cas de problème, travailler au sein d’un média peut peut-être t’aider. Actuellement, étant donné que la situation est très compliquée, les médias cherchent à éviter les problèmes et n’envoient pas leurs reporters couvrir le conflit, et nous sommes pratiquement les seuls, les freelances, à travailler là-bas. Les uns comme les autres, nous nous déplaçons avec un guide appelé fixer qui normalement sert aussi de traducteur et parfois de chauffeur. Il faut que ce soit une personne qui connaisse très bien la situation sur place et qui possède de bons contacts avec les différents groupes rebelles.


« Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près » disait Capa. JM Lopez poursuit la même philosophie. © JM Lopez

Quand il se trouve au milieu de la zone de combat, comment un photoreporter se situe-t-il par rapport à son sujet ? Le risque d’une contradiction n’existe-t-il pas entre la nécessité de prendre de la distance vis-à-vis de tes sujets et le fait qu’ils soient les seuls à même de te protéger ?

Selon moi, la façon dont je travaille en zone de combat n’est pas très différente de la façon de travailler dans n’importe quel autre lieu. On doit essayer de rester impartial et d’être honnête avec le travail que l’on réalise.

Au fait, comment as-tu réussi à te faire accepter des rebelles ?

La population syrienne est extrêmement hospitalière et cela inclut naturellement les rebelles. De plus, auparavant beaucoup d’entre eux avaient un autre métier comme boulanger, professeur ou vendeur. Ils te voient alors comme quelqu’un qui leur ressemble beaucoup même si, pour leur part, ils ont dû prendre les armes à un moment donné. Il s’établit une relation étroite et plus encore lorsque, à certaines occasions, tu as partagé un repas et un lit avec eux.

Dans ta carrière, tu as couvert d’autres zones de conflit comme l’Afghanistan ou l’Irak. Certains reporters aguerris, avec parfois vingt ou trente ans de métier, affirment n’avoir jamais vu des combats d’une telle violence. As-tu eu le même ressenti ?

On a l’habitude de dire que chaque guerre est différente. En Syrie les combats sont principalement concentrés sur les villes ce qui provoque des bombardements aveugles, de nombreuses pertes civiles et, à mesure que le temps passe, beaucoup de destruction. Il s’agit de la pire guerre que je n’ai jamais vue mais je ne crois pas qu’elle soit très différente des guerres des Balkans et du Liban.


Ce combattant rebelle illustre le déséquilibre des combats. Il est armé d’un simple RPG pour lutter contre les chars de Bachar al-Assad. © JM Lopez

La légende du photoreportage, Don McCullin, s’est rendue en Syrie en 2012. A son retour, il a déclaré : « Il est temps pour moi de décrocher, de renoncer à ma carrière de reporter. J’ai envie de beauté ». Après de telles immersions au cœur du chaos, ressens-tu parfois cette même nécessité ou penses-tu qu’au sein d’un conflit, on arrive toujours à déceler une part de beauté ?

La guerre est certainement le pire endroit où l’on peut se trouver, il y a peu de beauté là-bas. Malgré tout, nous poursuivons notre travail car il est nécessaire de raconter ce qu’il se passe dans ces lieux en guerre. Il y a un temps pour tout mais je crois que ce n’est pas encore le moment pour moi d’arrêter.

Un débat a agité le milieu du photoreportage après la publication, par Time Magazine, de photos très explicites concernant l’exécution sommaire de soldats de l’armée régulière. Pour sa sécurité, ce photographe préfère rester anonyme. Quelle est ton opinion au sujet de ces images?

Ce sont des images très dures mais ce n’est pas la première fois que l’on voit des exécutions : des pendaisons comme en Irak ou au Pakistan, des lapidations en Afghanistan, des gens qui s’immolent par le feu. Je pense que nous les photographes, nous dépeignons toutes sortes de situations et dans des cas comme ceux-là, il se pose toujours la question de savoir si ces gens ont, oui ou non, agit parce qu’il y avait un photographe face à eux.

Une question plus technique à présent ; En tant que photographe, quelles sont tes méthodes sur le terrain et quelles boîtiers, quels objectifs as-tu pour habitude d’utiliser?

J’aime travailler avec un équipement léger, sans téléobjectifs ni zoom, et je n’utilise pas non plus de flash. J’ai deux boîtiers Canon 5D Mark II et j’utilise des objectifs 24, 35 et 50 mm, fixes et lumineux. J’aime être au plus près de l’action.


Un combattant rebelle se tient au milieu d’un salon où trônent les objets usuels d’une vie bouleversée par la guerre civile. © JM Lopez

On a l’impression que, de nos jours, tout le monde devient photographe. Le métier s’est démocratisé grâce à l’arrivée des smartphones et d’applications comme Instagram par exemple. Les populations affectées se transforment en journalistes citoyens comme nous le montre Lens of the Young Deri. Certains pourraient se demander simplement si les photoreporters sont toujours aussi utiles sur le terrain. Qu’apportes-tu de plus qu’un jeune syrien doté d’un Iphone ou de son compact ?

Le professionnalisme. Le journalisme citoyen est une très bonne chose parce qu’il y a des fois où les citoyens se trouvent dans des lieux où nous, les professionnels, ne pouvons pas accéder mais parfois nous oublions qu’ils ne fournissent pas toujours une information véridique et nuancée.

On dit souvent des journalistes et des photographes qu’ils sont les « chiens de garde » de la démocratie. As-tu réellement le temps de penser à ce genre de chose lorsque tu es sur le terrain ?

En Syrie ou dans n’importe quel autre endroit où tu travailles, tu n’as pas beaucoup de temps pour penser véritablement à ces choses-là, bien que je partage totalement cet avis. Peut-être que ce sont des réflexions que nous devons avoir à un autre moment.

Actuellement, tu es en Espagne mais est-ce dans l’optique de repartir en Syrie ?

L’intention est là, mais on va voir comment évolue la situation là-bas d’ici le mois prochain et si les médias avec lesquels je travaille souhaitent que j’y retourne.


Les photos présentées dans cet article ont été primées aux International Photography Awards.

Propos recueillis par Hugo Berriat.
Traduction : Joanne Rojas Rodiguez
Merci à Cécile Cochois pour sa précieuse aide linguistique.

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