12 septembre 2013

Traces d’un exilé syrien à Beyrouth.


Le problème quand vous vous débrouillez pour loger dans un des hôtels les moins chers de Beyrouth, c’est que le confort est sommaire : coupures de courant fréquentes, toilettes et douches communes pour tout l’étage (dans la même salle donc votre papier toilette est en permanence détrempé) et air conditionné plus qu’incertain. Mais ce mode de vie quelque peu spartiate, certes adouci par la literie aux couleurs rose fuchsia, bleue et jaune de la Cendrillon de Disney, est contrebalancé par les personnalités qui partagent votre chambrée et le reste de l’hôtel. Ces dernières, contrairement à vous, ont bien souvent été obligées de s’arrêter dans cette auberge espagnole surprenante où flotte dans l’air un doux mélange de paroles arabes, anglaises et françaises. Le premier étage du Talal Hotel grouille de réfugiés syriens qui ont fini par fuir l’horreur d’un conflit fraternel entre les fidèles de Bachar el-Assad et les rebelles de l’ASL [Armée Syrienne Libre, ndb] secondés par un certain nombre de groupuscules fondamentalistes. Ils seraient plus de 1,2 million à avoir afflué au Liban, selon le ministre de l’intérieur libanais Marwan Charbel. Ils ne savent pas trop ce que l’avenir leur réserve, maintenant que la guerre leur a volé leur famille, leur toit et leur patrie.

Samer, 32 ans, est l’un de ces réfugiés. Il a accepté de se confier. De dérouler son parcours afin d’expliquer pourquoi il a mis si longtemps à quitter son pays. Je le croise pour la première fois avachi dans un des fauteuils du salon de l’hôtel, le regard sombre et perdu. Torse nu, tongs et bermuda, des cicatrices – laissées par des brûlures ? – sur ses épaules laissent songeur sur ce qu’il a pu vivre en Syrie.

Samer, le temps d'un sourire alors qu'un ami de Homs le passe à la tondeuse.

Le soir venu, nous trouvons enfin l’occasion de discuter plus amplement alors que nous sommes seuls sur le balcon de l’étage. Originaire de Damas, capitale jusqu’ici restée fidèle à al-Assad, il est arrivé il y a un mois au Liban. Il a choisi le pays du cèdre par défaut, car il semblait être le plus facile à rallier dans l’urgence. Alors que sa famille a dû rester sur place, Samer vit jusqu’ici sur les économies qu’il avait accumulées en travaillant dans les compagnies d’assurances. Je comprends alors que même Damas est devenue une zone de non-droit. Samir a fui les combats, bien sûr, mais me confie également qu’il ne s’était peut-être pas mis en affaire avec les « personnes les plus recommandables ». Il m’affirme que ces gens en ont maintenant après lui et que c’est ce qui l’a poussé à s’exiler définitivement. Quand je tente d’en savoir un peu plus, il se ferme. Alors qu’il s’exprimait dans un anglais plus que correct jusqu’ici, il me soutient que sa maîtrise de la langue de Shakespeare n’est pas suffisante pour que je saisisse le fin mot de son épopée.

Après un mois passé à Beyrouth, Samer peine toujours à trouver du travail pour subvenir à ses besoins et éviter de dépenser son maigre pécule. En fait, rien dans ce pays ne trouve grâce à ses yeux, comparé à la Syrie, dictatoriale mais paisible et stable, qu’il a connue. Même s’il trouve un emploi, il soutient que le salaire qu’il obtiendra (« 700$ en moyenne, peut-être 1000 au maximum ») ne lui permettrait pas de vivre correctement dans la capitale libanaise. Beyrouth, il est vrai, est réputée pour être une des villes les plus chères de tout le Moyen-Orient. En 2010, une enquête du consultant Cushman and Wakefield a classé la ville comme celle avec les loyers les plus élevés parmi dix métropoles arabes. Le coût de la vie semble avoir explosé à la fin de la guerre (1975-1990), lorsque les riches expatriés libanais se sont impliqués dans la reconstruction immobilière. A cela s’ajoute la difficulté des relations entre les deux frères ennemis que sont le Liban et la Syrie. Avec fierté, Samir me rappelle qu’avant l’indépendance des deux pays [en 1943 pour le Liban et 1946 pour la Syrie, ndb], « le Liban appartenait à la Syrie, ce n’était que le Mont Liban et non un pays indépendant ». Mais les tensions qui ont émaillé le XXe siècle, dont la population libanaise garde un sombre souvenir, semblent avoir été ravivées par ce nouvel afflux de réfugiés. « Les Libanais n’aiment pas les Syriens » affirme Samer, c’est pourquoi il aurait tant de mal à trouver du travail.

Sans emploi, les journées sont donc longues pour Samer et ses nombreux compatriotes. Sans réelles perspectives, il égrène les heures en une longue errance dans les étages plus ou moins pleins de l’hôtel. Sa seule certitude semble être qu’il ne pourra pas rester indéfiniment au Liban. Que tôt ou tard, il lui faudra mettre les voiles et s’éloigner de ce pays où rien ne le retient. Comme beaucoup de réfugiés syriens, Samer pense que son salut viendra de l’étranger. Il prend pour exemple son ami et voisin de lit qui est en attente d’un visa de travail pour Dubaï. Le regard de Samer se tourne plutôt vers l’Europe. Il me glisse que trois de ses amis ont réussi à obtenir l’asile en Suède, où tout a été pris en charge pour eux une fois arrivés. Avant cela, ils avaient dû payer 7000 dollars pour de faux passeports et l’aide de passeurs pour la Turquie puis les Balkans. Samir ne possède pas cette somme et ne risque pas de la trouver sous le sabot d’un des chevaux de l’hippodrome de Beyrouth.

Le jeune Damascène n’attend donc qu’une chose : que la nuit tombe pour aller prendre un verre avec ses compatriotes dans le quartier d’Hamra, en n’oubliant pas d’intégrer les nouveaux venus comme le soir où un jeune homme arrive d’Alep pour s’envoler le lendemain en direction des Emirats. Face à l’adversité, l’expérience des blessures communes semble renforcer la solidarité de la communauté syrienne, quelle que soit la ville ou région d’origine. Samer et ses amis d’infortune rentrent souvent tard et discutent sur les canapés du salon. Lorsque nous reparlons de la guerre, Samer ne cesse de me répéter : « Bachar est un criminel, un terroriste. Vous le savez en France ? ». Au même moment, son voisin, lui-aussi syrien, se déchaîne en jouant sur Counter Strike. La guerre a ses raisons que la raison ne connait point…


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