24 mars 2013

L'indignation stratégique de l'UMP.


Nicolas Sarkozy a été mis en examen jeudi 21 mars dans la soirée par le juge d'instruction Jean-Michel Gentil. La présomption d'innocence prévaut, mais l'ancien chef de l'Etat n'en est pas moins sous le coup d'une accusation pour abus de faiblesse à l'encontre de la milliardaire française Liliane Bettencourt, héritière de l'Oréal. Cette dernière, âgée de 84 ans au moment des faits, aurait été poussée à financer illégalement la campagne du président sortant en 2007.

Il n'a pas fallu bien longtemps à l'ensemble des responsables UMP pour clamer leur indignation. Un chœur de protestations outrées s'est fait entendre dès le lendemain, vendredi 22 mars. François Fillon, ancien Premier ministre et l'un des candidats à la présidence de l'UMP lors du tonitruant échec des primaires de novembre dernier, a estimé que la décision du juge Gentil était « injuste et extravagante ». Le maire de Nice et député (UMP) des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi a, quant à lui, dénoncé une « instrumentalisation » de la justice. Henri Guaino, ancien conseiller politique de Nicolas Sarkozy, s'est enfin jeté de toutes ses forces dans la bataille en critiquant sur Europe 1 une décision « irresponsable » par laquelle M. Gentil aurait « déshonoré un homme, les institutions, la justice ».

Henri Guaino lors de son intervention sur Europe 1.
Le président du MoDem François Bayrou, dont la voix a été difficilement audible dans ce concert de protestations, a jugé que ce n'est pas la mise en examen de l'ancien chef de l'Etat mais bien « ces attaques, qui sont inacceptables. Une démocratie, c'est une presse libre et une justice libre. Les attaques infondées contre les juges sont des attaques contre la démocratie. » De fait, la séparation des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est au fondement de l'Etat de droit. On peut donc s'étonner du comportement des responsables politiques de l'UMP lorsqu'ils se mêlent de ce qui relève du domaine judiciaire.

Leur attitude est en fait mûrement réfléchie. Il s'agit d'une stratégie de communication qui vise à répondre à la mise en examen de leur ancien patron, qui ne fait pas les affaires d'une opposition laissée sans véritable leader par la guerre des chefs qui a fait rage à l'UMP en novembre dernier. Nicolas Sarkozy s'était en effet récemment posé en dernier recours pour la présidentielle de 2017. Face à un processus judiciaire qui risque d'être très long, il convenait donc de parer au plus urgent et de convaincre l'opinion publique, quitte à user de matraquage médiatique, que l'ancien chef de l'Etat a été injustement traité par la justice française.

Soulignons le rôle de l'avocat de Nicolas Sarkozy, Me Thierry Herzog, dans cette bataille médiatique. Conscient de l'enjeu auprès de l'opinion publique, celui-ci a été très présent dans les médias ces derniers jours. Dès vendredi 22 mars, il était sur RTL pour rapporter que Nicolas Sarkozy avait « considéré que le traitement qui lui était infligé était scandaleux ». Deux jours plus tard, c'est dans le Journal du Dimanche qu'il poursuivait l'offensive, faisant état d'une « tribune politique » dans laquelle le juge d'instruction Jean-Michel Gentil critiquerait l'action de M. Sarkozy durant son quinquennat. Cette tribune, publiée quelques jours avant une perquisition au domicile de l'ancien chef de l'Etat, pousse Me Herzog à poser la « question de l'impartialité » du juge.

En fait de « tribune politique », le texte évoqué par Me Herzog est une lettre ouverte signée par 82 magistrats et neuf organisations parmi lesquelles le syndicat CGT-Police et le Syndicat de la Magistrature. Publiée le 27 juin 2012 sur le site du Monde et parue le 28 juin dans l'édition papier, elle est intitulée « Agir contre la corruption : l'appel des juges contre la délinquance financière ». Dans ce texte, les magistrats dénonçaient surtout le délitement des outils de lutte contre la corruption et souhaitaient « attirer l'attention sur les mesures indispensables pour renforcer la confiance des citoyens dans les institutions et ceux qui en ont la charge ».

L'avocat Thierry Herzog.

Le lien tissé par Me Herzog entre la tribune et la perquisition est partie intégrante du plan de bataille de l'UMP visant à sauvegarder la crédibilité de Nicolas Sarkozy en vue d'un éventuel retour à la politique.

Et il faut bien reconnaître que la droite enregistre un certain succès dans cette entreprise. Un sondage publié dimanche 24 mars dans Le Parisien-Aujourd'hui en France révèle que 63% des Français répondent « non » à la question « Selon vous, cette mise en examen empêchera-t-elle Nicolas Sarkozy de revenir en politique ? ». Bien que la méthodologie du sondage puisse être questionnée - la question posée ne permettant pas de savoir si les Français sont désabusés vis-à-vis de la politique à tel point qu'ils considèrent qu'une mise en examen n'handicape pas un homme politique ou s'ils considèrent qu'en ce qui les concerne, l'affaire ne nuit pas à l'image de Nicolas Sarkozy -, le chiffre est sans appel.

Car c'est une véritable bataille qui s'est engagée pour obtenir le soutien de l'opinion publique. L'effort collectif fourni par l'UMP est tout à fait remarquable. Les deux camps ne s'affrontent cependant pas à armes égales puisque le juge d'instruction s'est contenté de se défendre par le biais de son avocat. Ce dernier a annoncé qu'une plainte contre Henri Guaino allait être déposée et a rappelé au passage que « M. Gentil n'est pas seul dans son instruction, c'est une instruction collégiale, ils sont trois magistrats à suivre le dossier ».

Mise à jour – Lundi 25 mars – 15h
L'ancien président Nicolas Sarkozy vient de réagir publiquement pour la première fois, par le biais de sa page Facebook. À l'image de ses partisans ce week-end, il déclare notamment « faire face à l'épreuve d'une mise en examen injuste et infondée », et affirme qu'il utilisera « les voies de droit qui sont ouvertes à tout citoyen » pour démontrer sa « probité » et son « honnêteté ».

Par ailleurs, à l'image de ce que nous affirmions hier après-midi, Le Monde indique que Thierry Herzog a attaqué le juge Jean-Michel Gentil sur la base d'une « citation erronée », celui-ci n'ayant pas nommément critiqué Nicolas Sarkozy dans la tribune co-signée en juin dernier.

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