11 février 2013

L'économie iranienne au bord du gouffre.


En plus de sa mise au ban de la communauté internationale, l'Iran traverse une grave crise économique et financière. Le poids des sanctions occidentales y est pour beaucoup et la politique économique préconisée par les dirigeants n'est pas à la hauteur des enjeux.

Un isolement international croissant.

La République islamique la plus célèbre du monde entre dans une période des plus compliquées depuis son avènement il y a maintenant trente-quatre ans. L'Iran est plus que jamais isolé sur la scène internationale : un strict embargo économico-financier frappe le pays depuis 2012 à l'instigation de l'Union Européenne et des États-Unis. Le leadership de ces États a même permis de mettre sous pression les traditionnels acheteurs de brut iranien : Grèce ou Italie par exemple. D'un point de vue géopolitique, les traditionnels soutiens font également défaut : Damas lutte désespérément pour sa survie, le Hezbollah se retrouve en délicate position et Bahrein semble avoir définitivement mâté la révolte chi'ite avec l'appui des troupes saoudiennes -la population bahreinie, majoritairement chi'ite est soutenue par Téhéran dans un royaume sunnite ayant lui, l'appui de Ryiad. Bahrein est donc aux avant-postes de la discorde opposant les deux grands riverains du golfe persique. Ajoutez à cela les législatives irakiennes de 2010, qui ont sérieusement redynamisé le sunnisme politique du rival historique. Il n'en fallait pas plus pour ébranler, sinon déstructurer, le mythique croissant chi'ite (1).


Tous ces facteurs expliquent l'isolement grandissant de Téhéran et le drame qui se profile pour la population iranienne. L'économie nationale est de plus en plus sous pression dans un pays dépendant largement des importations. Avec la chute du rial face aux devises de références, les produits importés sont chaque jour plus inabordables pour les Iraniens. La politique économique conduite par le gouvernement devrait donc a priori viser à stabiliser la monnaie nationale afin de contrecarrer une inflation artificielle nocive. Mais, sans trouver les solutions économiques idoines, le régime préfère parler de manipulations de la monnaie par des forces extérieures -la CIA est souvent pointée du doigt. Pékin s'en est même mêlé en menaçant les États-Unis de régler ses traites pétrolières à l'Iran en yuan, ce qui réduirait fortement l'influence du dollar dans l'économie iranienne et donc affaiblirait l'efficacité des sanctions occidentales. Ankara, cherchant à ménager ses relations avec Washington et Téhéran a également discrètement modifié son système de paiement en transférant 60 tonnes d'or dans les coffres iraniens en mai 2012. (2)

Les taux affichés dans un bureau de change à Téhéran le 5 février 2013 :
1 euro s'achète pour 52 500 rials iraniens (contre 46 900 dix jours auparavant).

L'impossible stabilisation de la devise nationale.

Les turbulences que traversent l'économie affectent directement la vie quotidienne de la population : des produits de consommation courante peuvent augmenter de 50% en une semaine lorsqu'ils sont importés et les produits nationaux en subissent également les conséquences. Le prix du poulet, denrée de base en Iran, a en effet tellement augmenté que des manifestations aux slogans anti-gouvernementaux ont tourné à l'émeute en octobre dernier, mettant les puissants bazari (3) dans la rue aux côtés de la population. La réponse du régime, déconcertante, s'est cantonnée notamment à interdire la publicité concernant  la volaille et à filtrer l'utilisation du mot et symbole dollar dans les messages-textes.

Mais la confusion sur la situation économique règne surtout aux alentours de la rue Ferdowsi à Téhéran, où sont concentrés les bureaux de change. Le scénario de la fin octobre 2012 semble se répéter : un dollar s'échangeait alors à des taux records de 39 000 rials. Après être remontée autour de 25 000 rials pour un dollar, la monnaie iranienne s'effondre à nouveau de manière spectaculaire depuis quelques semaines (4). C'est un très mauvais signe pour le régime à l'approche des élections présidentielles de juin 2013. Les réponses du gouvernement sont déconcertantes : création d'un bureau de change gouvernemental visant à favoriser les investissements dans le pays, avec un taux de conversion d'environ 14 000 rials pour un dollar soit... 2 000 rials de plus que le taux de change officiel fixé par la banque centrale ! Si l'on compare aux taux réels du marché « noir » tel qu'il est caractérisé par le régime et qui s'élève à 39 000 rials, on comprend le peu d'engouement dont font preuve les investisseurs.

La crise économique couve une crise politique.

D'un point de vue politique, on sait que le divorce est consommé entre le président Ahmadinejad et le guide suprême Khamenei, qui avait pourtant adoubé le premier en juin 2009 lors de sa réélection contestée. Plusieurs fois convoqué devant le Majles (5) à majorité ultra-conservatrice (partisane de Larijani, président du parlement et protégé du guide) depuis les législatives de 2011, Ahmadinejad est régulièrement vilipendé pour sa gestion désastreuse de la crise économique et l'effondrement du rial.  Tout cela a un fort impact sur le moral des ménages iraniens et risque bien d'obliger le régime à verrouiller encore plus sévèrement les élections présidentielles de juin 2013 dont l'issue risque encore plus farcesque qu'en 2009.


Caricature de Mahmoud Ahmanidejad, président de la république et Ali Larijani, président du parlement. Le magazine « Mah » [le mois, ndb] titre : « L'attente au virage » au lendemain d'une passe d'arme entre les deux hommes en pleine assemblée.

En outre, les scandales de clientélisme et de corruption à haut niveau ne peuvent que déstabiliser l'économie iranienne, étroitement liée aux politiques qui en détiennent les clefs. La lutte des clans, des idéologies et des fortunes personnelles se fait plus évidente à l'approche des élections. La semaine passée, lors d'une énième convocation, Ahmadinejad a fait diffuser au parlement, une vidéo montrant le versement de pots de vin au chef du système judiciaire un certain Fazel... Larijani, le frère du président du Majles. Ces enfantillages politiciens ne peuvent donc ni rassurer les marchés, ni inciter les investisseurs étrangers dans un pays plus que jamais instable.

Dans ce contexte, le pragmatisme d'un Rafsanjani, ancien président, personnalité structurante de la République islamique et partisan d'une certaine forme de normalisation du pays dans la communauté internationale pourrait redonner confiance dans la gestion des affaires iraniennes. Toutefois, Ali Khamenei, le guide suprême, véritable autorité du pays, semble lui préférer l'ultra-conservateur Larijani, signal tacite lancé aux occidentaux que la ligne du régime n'est pas prête de changer, en dépit des sanctions. Ces dernières ont des conséquences toujours plus difficiles pour la population : l'inflation galopante, officiellement de 11% depuis quelques années serait en réalité de 25% selon l'aveu même de certaines personnalités du régime. Alors que la CIA estime l'inflation à 23,6% en 2012 (5), le gouverneur de la banque centrale, empêtré dans des affaires judiciaires troubles, menace de publier, pour la première fois, le chiffre réel de 28%. Autant d'éléments très préoccupants pour l'avenir du pays.


(1) Le croissant chi'ite est un espace géographique constitué de l'Iran, l'Iraq, la Syrie et le Liban où des forces politiques chi'ites sont au pouvoir [le Hezbollah libanais, qui détient la majorité au gouvernement avec ses alliés, est très proche de l'Iran]. De fait, ces pays sont des alliés traditionnels de Téhéran, dans une région moyen-orientale principalement sunnite.
Pour plus d'explications, se reporter à l'article de Gérard-François Dumont« L'Iran et le "croissant chiite" : mythes, réalités et prospective », in La Revue Géopolitique, 16 mai 2009.
(2) Voir l'article « What’s Iran doing with Turkish gold? », publié par Humay Guliyeva.
(3) bāzāri : vendeurs du bāzār-e bozorg de Téhéran, ayant une force influence sur l'économie et donc la vie politique iranienne.
(4) Tableau interactif sur les taux IRR/USD disponible ici. En Iran, les conversions de monnaies sont strictement contrôlées par le gouvernement. Un touriste allant échanger ses devises dans une banque nationale obtiendra ainsi 16 700 rials pour un euro, taux fixé par la banque centrale, alors qu'il en aura 51 100 au 3 février 2013 dans un bureau de change du « marché noir ».
(5) Majles-e shora-ye eslami « Assemblée consultative islamique », chambre du parlement monocaméral iranien.
(6) Fiche Iran du CIA - World Factbook.

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