30 mai 2012

Syrie: après l'inertie, l'action ?


Dans deux précédents articles, publiés le 29 février et le 23 mars 2012, nous étions revenus sur la situation tragique que connait la Syrie depuis l'été 2011. Nous avions alors évoqué, outre les liens unissant le Hezbollah au pouvoir syrien et l'attitude de certains journalistes français à l'égard de ce conflit, un bilan de quelques 8 000 victimes. L’observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) en compte désormais 12 600, dont 108 sont tombées vendredi 25 mai à Houla sous les obus du régime de Bachar el-Assad. Cette triste nouvelle a été confirmée et condamnée par le corps d'observateurs internationaux de l'Organisation des Nations Unies (ONU) présent sur place, dont la mission initiale était de constater l'arrêt effectif des combats, après que régime et opposition aient accepté le cessez-le-feu entré en vigueur le 12 avril à 06h00, heure de Damas.

Ce cessez-le-feu constitue l'un des six éléments-clés du plan de sortie de crise proposé par Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU entre 1998 et 2007 et désormais envoyé spécial de l'ONU et de la Ligue des Etats arabes pour la cause syrienne. Outre l'arrêt des combats, ce plan prévoyait la reprise du dialogue politique afin tenir compte de toutes les aspirations de la population civile, la mise en place de l'aide humanitaire ainsi que le rétablissement de libertés telles que celle de la presse ou celle de manifester. A la surprise générale, le gouvernement syrien avait accepté ce plan, généralement considéré comme celui de la « dernière chance », ainsi que l'avait désigné Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères du dernier gouvernement Fillon.

Or ledit cessez-le-feu n'a jamais été respecté. Le drame de Houla n'est que le dernier des multiples actes de violence (perpétrés par les deux parties) qui demeurent monnaie courante. Les forces de l'opposition, par l'intermédiaire de l'Armée syrienne libre (ASL), ont annoncé samedi 26 mai qu'« à moins que le Conseil de sécurité de l'ONU ne prenne des décisions d'urgence pour protéger les civils, le plan Annan ira en enfer ». Rien n'empêcherait alors le retour à ce qui doit être appelé, de fait, une guerre civile. Le bégaiement de la communauté internationale, qui tente d'agir depuis des mois mais se heurte à l'opposition constante de la Russie et de la République populaire de Chine, peut donc laisser perplexe ceux qui se remémorent l'opération « Aube de l'Odyssée », l'intervention libyenne à l'été 2011.


Kofi Annan, envoyé spécial de l'ONU - mardi 10 avril, jour de l'entrée en vigueur du cessez le feu du côté du régime (© Reuters).

A l'origine de cette inaction internationale se trouve le concept de souveraineté. Celle-ci a d'abord été définie par Jean Bodin au XVIe siècle, comme la « puissance absolue et perpétuelle d'une République », c'est-à-dire de l’État. Dans des termes plus actuels, la souveraineté désigne la compétence exclusive qu'un État possède au sein de son territoire, lui-même défini par ses frontières. On lui oppose généralement l'ingérence, qui se rapporte à toute intrusion d'un État ou d'une organisation intergouvernementale dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d'un autre État. L'ingérence constitue donc une violation de la souveraineté. En 1965, l'Assemblée Générale des Nations Unies, l'organe plénier [qui rassemble l'ensemble des États-membres, ndb] de l'ONU, a condamné par la résolution 2131 du 21 décembre toute « intervention armée, mais aussi toute autre forme ingérence ou toute menace » à l’encontre d'un État. Depuis, la non-ingérence est la norme, malgré la tentative de Bernard Kouchner et de Mario Bettati, d'instaurer un « droit d'ingérence » en 1988.

Ce préalable théorique et juridique va nous permettre de mieux saisir les attitudes russe et chinoise. La Chine communiste a longtemps fait partie de blocs opposés au bloc occidental. D'abord au bloc soviétique, puis à l'ensemble relativement insaisissable des Non Alignés. En découle un rejet systématique de tout comportement qui pourrait être assimilé à de l'impérialisme. L'ingérence en fait naturellement partie. La Russie, dans sa faiblesse de l'après-l'URSS des années 1990 et du début des années 2000, s'est d'abord rapprochée de l'Occident pour mieux s'en distinguer à partir de 2004, pendant le deuxième mandat de Vladimir Poutine. Elle tient depuis des positions semblables à celle de la Chine : hostile à l'ingérence, surtout lorsqu'il s'agit de ses alliés, dont la Syrie fait partie. Ceci, ajouté au fait que la Russie et la Chine se sont senties flouées lorsque la zone d'exclusion aérienne en Libye qu'elles avaient acceptée du bout des lèvres s'est transformée en une aide logistique et militaire concrète aux mouvements d'opposition, explique pourquoi aucune résolution contraignante du Conseil de sécurité de l'ONU (dont la Chine et la Russie sont membres permanents et disposent donc d'un droit de veto) n'a pu être adoptée jusqu'à présent. Car seul le Conseil peut en effet, par le biais de ses résolutions dites « chapitre VII » [issues du chapitre VII, articles 41 et 42 de la Charte des Nations Unies (CNU), ndb], imposer une action coercitive contre l'un des États-membres.


Le général norvégien Robert Mood, à la tête de la délégation d'observateurs internationaux en Syrie.
On comprend alors pourquoi jusqu'ici le conseil de sécurité, et derrière lui la communauté internationale, n'a pu réagir face aux tueries perpétrées en Syrie. Le massacre de Houla, cependant, pourrait constituer un point de basculement. Les observateurs internationaux de l'ONU l'ont confirmé et les États-Unis, le Canada et une bonne partie des Etats européens l'ont condamné (ils vont d'ailleurs expulser sous peu les ambassadeurs syriens présents sur leurs territoires). Il est désormais inéluctable de convenir que l'ensemble des moyens non-coercitifs conventionnels ont été utilisés. Ne restent plus que les moyens coercitifs.

C'est pourquoi l'action internationale dirigée contre la Syrie devrait bientôt passer à l'étape supérieure. Outre les sanctions non-armées, telles que « l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications [...] ainsi que la rupture des relations diplomatiques » (chapitre 41 de la CNU), l'usage de la force (article 42) pourrait bel et bien être requis par le Conseil de sécurité.

Comment justifier une telle ingérence ? Historiquement, les interventions armées ont toujours été légitimées par l'intention de « rétablir la paix et la sécurité internationales », selon l'expression consacrée par l'article 39 de la CNU. Mais sans l'avouer, on exerce alors une certaine forme d'ingérence telle que la réclamaient B. Kouchner et M. Bettati. Pourtant, désireux de dépasser ce tabou de l'ingérence, Kofi Annan avait dès 2000 commandé un rapport à la Commission internationale sur l'intervention et la souveraineté des États (CIISE). Ce rapport, publié en 2001 et intitulé La responsabilité de protéger, avance la proposition suivante : si un État n'est pas disposé ou capable de mettre fin à une souffrance importante de sa population, la responsabilité internationale devrait prendre le pas sur le principe de non-intervention. Ce principe ouvre une brèche mince mais réelle dans le bouclier de la non-ingérence qu'ont toujours brandi les régimes dictatoriaux et leurs alliés.

Le 14 septembre 2009, l’Assemblée Générale des Nations Unies a pour la première fois reconnu la validité de ce concept dans une résolution. Il devrait donc devenir bientôt un principe opérant des actions conduites dans le cadre de l'ONU. Il n'est guère étonnant, du coup, que le Président de la République, François Hollande, annonce le mardi 29 mai lors du journal télévisé de France 2, qu'une « intervention armée [ne serait] pas exclue ». Ce serait en tout cas la conséquence logique de la succession d'évènements que le massacre de Houla est venu conclure.

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