11 juin 2013

Élections iraniennes : enfin un espoir ?


En ce premier jour de 1392 - 21 mars 2013 dans le calendrier géorgien, Ali Khamenei, guide suprême de la République Islamique d'Iran, qualifiait la nouvelle année d' "épique en politique et en économie". Si l'on pensait avoir tout vu en terme d'épique économique avec la crise terrible affectant le rial iranien, on s'attendait dès lors à l'épique politique en cette année d'élection présidentielle.

Le 14 juin 2013, les Iraniens sont appelés aux urnes afin d'élire un nouveau président pour un mandat de quatre ans. Mahmoud Ahmadinejad, réélu en 2009 ne peut se présenter cette année en raison de la limite de deux mandats consécutifs imposée par la constitution, il devra donc observer une carence d'un mandat avant d'espérer être candidat de nouveau.


Une campagne limitée et sous surveillance.


En Iran, pas de primaires ou de parrainages d'élus, tout citoyen peut présenter un dossier auprès du ministère de l'intérieur. Cette année, 686 candidatures ont été déposées en vue d'être étudiées puis sélectionnées par le conseil des gardiens de la constitution qui veille à l'adéquation entre le profil des candidats et les principes de la République islamique (i.e : être un homme, musulman chiite, pratiquant, éduqué, aux bonnes mœurs, reconnaissant l'autorité cléricale...).

Pendant une semaine, jusqu'au 11 mai 2013, les prétendants candidats ont donc défilé dans les locaux du ministère de l'intérieur afin de déposer leur dossier. 

Deux événements sont toutefois venus perturber cette période pré-électorale un peu morne. D'abord, Ahmadinejad avait choisi d'accompagner son protégé Esfandiar Mashaei au ministère pour le dépôt de sa candidature, ce qui a entraîné une levée de boucliers des ultra-conservateurs proches du guide, brandissant l'illégalité pour un président d'appuyer un candidat. Le deuxième bouleversement fut la surprise constituée par la venue, quelques minutes avant la clôture, de Hashemi Rafsanjani, déjà président entre 1989 et 1997. Ce sénior de la politique iranienne, critique envers la réélection et la politique d'Ahmadinejad semblait être le seul espoir du camp réformateur après les mises au ban successives des Mehdi Karoubi,  Mir Hossein Moussavi (candidats réformateurs de 2009) et Mohammad Khatami (président réformateur entre 1997 et 2005). 


Comprendre Ahmadinejad.


Si Ahmadinejad avait reçu le soutien du guide pendant son premier mandat et pour sa réélection il y a quatre ans, les relations se sont vite dégradées entre les deux hommes. Il faut dire que pour la première fois dans l'histoire de la République islamique, un laïc parvenait à rester plus d'un an au poste de président. En outre, ses origines familiales populaires et rurales expliquent l'inclination anti-élite, cherchant parfois à faire fi de la doctrine du velayat-e faqih, l'idéologie théocratique formulée par l'ayatollah Khomeini.

Ahmadinejad accompagnant Mashaei pour le dépôt
de sa candidature au ministère de l'intérieur.
Dès sa réélection, Ahmadinejad commença à s'attirer l'inimitié des conservateurs religieux car il tentait de s'affirmer politiquement au sein du régime face au guide, une première. La nomination de Esfandiar Mashaei, chef de cabinet, ami de toujours et beau-père du fils aîné d'Ahmadinejad, au poste de premier vice-président força même Khamenei à opposer son veto face à une personne qualifiée de "déviationniste". En fait, Mashaei s'inscrit dans une tradition iranienne de politique très nationaliste, certaines de ses positions sont populaires et pragmatiques et il est capable d'affirmer publiquement que "l'Iran est ami avec le peuple américain et le peuple israélien" et qu' "aucune nation au monde n'est l'ennemie [de l'Iran]".

Grâce à une belle carrière militaire puis politique, Ahmadinejad a su rallier à sa cause les éléments qui comptent le plus : des membres des Pasdaran (1), les gardiens de la révolution, véritable clef de voûte du régime. Un rééquilibre des forces politiques en présence s'opérait donc, Ahmadinejad se construisant jour après jour un rempart face aux fidèles de Khamenei. L'échéance de ce petit jeu était toute trouvée : les élections de 2013 devaient servir de pivot pour une alternance Ahmadinejad-Mashaei "à la Poutine" afin de minorer l'influence du clergé dans la politique iranienne, ce dont les ultra-conservateurs n'entendent pas de la même oreille.

Le coup politique de Khamenei.

Tout cela était sans compter la finesse politique de l'ayatollah Khamenei. Peu avant la clôture du dépôt des candidatures le 11 mai 2013, Hashemi Rafsanjani, 78 ans et déjà président pendant deux mandats, créa la surprise en venant déposer son dossier. Dès le lendemain, les journaux réformateurs qui avaient fait courir la rumeur d'une candidature du "requin" célébrèrent l'engagement d'un candidat réformateur politiquement et économiquement très influent -il est l'homme le plus riche du pays. 

Néanmoins, le 22 mai, quand le conseil des gardiens rendit sa décision de ne pas qualifier les deux grandes figures Mashaei et Rafsanjani, c'est clairement la main et le poids du guide qui apparurent dans cette équation. En effet, soucieux de réduire considérablement l'influence d'Ahmadinejad, Khamenei ne pouvait se permettre de risquer une candidature de Mashaei qui, s'il était élu mettrait à mal l'influence du clergé. Autre rumeur qui n'a cessé de courir avant la décision du 22 mai : Rafsanjani, ennemi de toujours du guide, aurait été sollicité en personne par Khamenei afin de contrer l'influence du clan Ahmadinejad. Si cette hypothèse est exacte, elle pourrait signifier que Khamenei aurait demandé à Rafsanjani de présenter une candidature fantoche afin de l'éliminer pour mieux légitimer la disqualification de Mashaei et ne pas présenter ce dernier comme "martyr" du système politique. Élément d'autant plus troublant : si Mashaei et Ahmadinejad ont protesté dès le lendemain contre la décision du conseil, Rafsanjani, indiquait pour sa part qu'il se conformait au veto émis à sa candidature...

Le journal iranien Ebtekar titre "Le grand choc",
au lendemain de la décision du conseil d'invalider la candidature de Rafsanjani.

Dans son message de Norouz -le nouvel an iranien, l'ayatollah Khamenei avait formulé une position originale qui n'a pas manqué de retenir l'attention des experts internationaux : il n'a pas refusé l'offre de négociation formulée par les Américains. Le sens des discours iraniens se trouvant toujours entre les lignes, il faut comprendre ce non-dit comme une avancée considérable dans le jeu médiatique que livre la République islamique. Mais, plus qu'une volonté sincère de se rapprocher des puissances occidentales, il semble que Khamenei veuille attendre l'issue de l'élection pour adouber un président, allié politique, qui recevra la feuille de route de faire avancer les négociations sur le nucléaire. Cela permettrait à court terme d'alléger les sanctions internationales, mais surtout de montrer à la population l'habileté négociatrice du prochain gouvernement par rapport à celui d'Ahmadinejad, alors que toutes les cartes sont détenues par le guide !


Les bons petits soldats du régime.


Huit candidats ont donc été autorisés à participer à l'élection par le conseil des gardiens, dans l'espoir de verrouiller le scrutin. On ne retrouve que deux "réformateurs", quasi-anonymes pour les Iraniens eux-mêmes et six conservateurs dont certaines figures bien connues (2) : 


Mohammad Bagher Ghalibaf 

52 ans. Commandant d'une unité des gardiens de la révolution pendant la guerre Iran-Iraq. En tant qu'officier des Pasdaran, il avertit Khatami (président réformateur entre 1997 et 2005) qu'il agira sans son consentement pour réprimer la contestation étudiante de 1999. Khamenei le nommera chef des forces de police, il prend la suite d'Ahmadinejad à la tête de la mairie de Téhéran en 2005 quand celui-ci est élu président.


Saïd Jalili 


46 ans. Bassij (3) pendant la guerre Iran-Iraq, il étudie la géopolitique et devient vite une pièce maîtresse du régime. Spécialiste de l'occident, il est nommé sous Khatami et Ahmadinejad à des postes clefs avant de se voir offrir par Khamenei d'être le visage de l'Iran pour la négociation du dossier nucléaire avec le groupe 5+1 (Membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU + Allemagne)

Une étudiante de l'université de Téhéran demande à Jalili de jurer sur le Coran
qu'il est prêt à donner sa vie pour Khamenei, le candidat s'exécute.


Mohsen Rezaei 

59 ans. Chef des Pasdaran pendant seize ans, il est aujourd'hui membre du conseil de discernement (équivalent à un conseil d'État). Déjà candidat en 2009, il s'était rallié aux positions du guide lorsque celui-ci valida la réélection controversée d'Ahmadinejad. Il a figuré sur la liste des personnes recherchées par Interpol pour son implication présumée dans l'attentat du centre culturel juif de Buenos Aires en 1994.

Ali Akbar Velayati 

67 ans. Ministre des affaires étrangères pendant la présidence Khamenei (1981-1989) puis les deux premières années du mandat de Rafsanjani. Il démissionne en 1991 et devient conseiller en affaires étrangères auprès du guide, poste qu'il occupe toujours aujourd'hui.

Gholam Ali Haddad Adel 

68 ans. Diplômé de philosophie islamique, premier laïc président du Majles (parlement) entre 2004 et 2008, il servit à de nombreux postes ministériels. Il est le beau-père du fils de Khamenei et considéré comme une personne de confiance par le guide au sein du parlement.
Le 10 juin, Haddad Adel se retire de la course à la présidentielle afin "de favoriser l'élection d'un candidat conservateur", sans toutefois donner de consigne de vote.

Mohammad Gharazi 

71 ans. Eloigné de l'Iran pour ses activités au sein des Moudjahiddines du peuple iranien au temps du Shah (mouvement marxiste opposé à la monarchie puis à la république islamique), il revient en Iran avec l'ayatollah Khomeini qui le nomme gouverneur du Kurdistan. Occupant différents postes ministériels, il démissionne à l'arrivée du réformateur Khatami en 1997.

Mohammad Reza Aref 

62 ans. Diplômé en ingénierie de l'université Stanford (Californie), longtemps universitaire en Iran, il devient ministre des technologies sous le premier mandat de Khatami puis premier vice-président lors du second. Il est actuellement membre du conseil de discernement présidé par Rafsanjani. En 2008, tête de liste des réformistes pour les élections législatives, il renonce finalement à concourir en signe de protestation contre l'invalidation de nombreux candidats de son camp.
Le 11 juin, Mohammad Reza Aref se retire officiellement de la course à la présidentielle, "à la demande de Mohammad Khatami". Il ne donne son soutien à aucun candidat mais son abandon est considéré comme une alliance avec le modéré Hassan Rouhani, d'autant que les deux hommes se "suivent" désormais sur Twitter et se "retweetent" mutuellement.


À gauche, une partisane de Rouhani avec le portrait du candidat modéré
À droite, une partisane conservatrice a écrit sur sa main "فقط جلیلی" - "rien que Jalili"


Hassan Rouhani 

64 ans. Seul religieux en course, étudiant à Qom puis à Glasgow, il prêche contre le Shah en Iran avant de rejoindre Khomeini en exil à Paris. Élu député pendant vingt ans, il est également président du conseil suprême de sécurité nationale pendant seize ans (il démissionne à l'élection d'Ahmadinejad en 2005) et conseiller à la sécurité national de Rafsanjani et Khatami, ce qui lui permet de négocier avec les occidentaux sur le dossier nucléaire. Il est aujourd'hui membre du conseil de discernement et de l'assemblée des experts (qui élit ou révoque le guide suprême). Avec l'abandon de Aref, Rouhani semble être devenu définitivement la figure de proue de l'alliance entre les modérés et les réformateurs.



La surprise Rouhani ?

En faisant éliminer Rafsanjani, Khamenei affirmait sa volonté d'effacer les figures du mouvement vert de 2009 afin de s'assurer du soutien des partisans de la ligne dure et de bien signaler au peuple que cette période de contestation était révolue. Les deux candidats dits "réformateurs" Aref et Rouhani avaient somme toute peu de poids sur la scène politique car ce sont des figures quasi inconnues des Iraniens. Cela aurait donc dû parachever le stratagème du guide cherchant à donner des gages démocratiques sans risquer de remettre en cause sa ligne ultra-conservatrice au sein du régime.

Mais, comme souvent en Iran, les surprises politiques sont toujours possibles : en 1997, Khatami avait réussi le coup de force de rassembler 70% des voix face au candidat conservateur adoubé par le guide lors d'un scrutin qui avait mobilisé 80% des électeurs, un record (2). Aujourd'hui, le clan réformateur se rassemble sous une candidature unique dès le premier tour, ce qui avait manqué en 2009, un réel espoir pour le pays malgré la circonspection de nombreux iraniens pour qui le souvenir de la fraude d'Ahmadinejad est encore très présente.

Peu de temps après le lancement de la campagne officielle, Hassan Rouhani est vite devenu la figure prisée des milieux libéraux avec ses déclarations anti-Ahmadinejad et admettant clairement que "cette année 2013 ne sera pas la même que 2009". Sur la toile, on trouve des photos montrant des portraits de Moussavi dans un meeting de Rouhani ainsi que des vidéos où des chants faisant rimer Rouhani et Moussavi et demandent la libération du leader de 2009, toujours en résidence surveillée. Lors de ce meeting du 31 janvier, la police est venue arrêter certains participants "à l'attitude anti-révolutionnaire" selon les mots des forces de l'ordre, signe de la pression qui pèse toujours sur les milieux réformateurs.

Photo-montage présent sur la page facebook de Mohammad Khatami.
De gauche à droite : Aref, Khatami, Rafsanjani et Rouhani.


Il est difficile de donner des pronostics sur l'issue du scrutin du 14 juin mais une chose est sure : en Iran, tout est toujours possible. Au lendemain de la validation des candidatures le 22 mai, et jusqu'à présent, les quelques sondages, qui n'ont aucune fiabilité car sans critères statistiques, ont donné des indications contradictoires mais les tendances semblent nettes : comme on pouvait l'envisager, Ghalibaf et Jalili semblent être les candidats conservateurs les plus populaires .

Si Rouhani semble déjà jouir d'une bonne réputation sur les réseaux sociaux (son équipe twitte même en anglais, tout un symbole) et les blogs, canaux de communication d'un pan libéral et éduqué de la société, il lui reste à convaincre le grand public au cours des prochains débats télévisés.




Suivons donc avec attention l'actualité politique autour des élections présidentielles en Iran. Les Iraniens sont un peuple éminemment politique et subtil : nombre d'entre eux ne croit pas à un nouveau paradigme révolutionnaire annonçant le retour de la monarchie ou l'avènement d'une république séculaire. Les sujets qui les intéressent prioritairement sont les mêmes que dans nos démocraties occidentales : chômage, inflation, enjeux énergétiques... le tout, dans le cadre politique institutionnel qui prévaut aujourd'hui.

Quant aux attentes occidentales concernant le dossier nucléaire, deux choses ne doivent pas être oubliées : la population elle-même, et a fortiori les politiques, sont attachés au programme nucléaire, véritable symbole de souveraineté nationale. En outre, la négociation est une prérogative du guide suprême, un président sans soutien de Khamenei ne pourra ainsi pas faire de concession à la communauté internationale.

En somme, il serait bien prétentieux de donner, à quelques jours de la présidentielle, ne serait-ce que le nom des deux candidats qui s'affronteront au second tour, le 21 juin. Les contingences et les paradoxes font partie intégrante de la société iranienne et la complexité des rapports politiques font qu'il est toujours très difficile d'entrevoir la teneur de l'agenda de la République islamique.



(1) Pasdaran : corps des gardiens de la révolution islamique, force paramilitaire idéologique dépendant directement du guide suprême et très influente de les milieux politiques, religieux et économiques.

(2) - Portraits des candidats

(3) Bassij : force paramilitaire créée pendant la guerre Iran-Iraq afin d'alimenter les bataillons en soldats, ils sont aujourd'hui chargés de sécurité intérieure et de faire respecter le code vestimentaire islamique.

(4) DIGARD, J-P., HOURCADE, B., RICHARD, Y., L'Iran au XXe siècle, Entre nationalisme, islam et mondialisation. Paris, Fayard, 2007, p. 388.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bienvenue sur LPO et merci de votre participation. N'oubliez pas que le débat doit se faire dans la cordialité !