20 octobre 2012

On a retrouvé le Président !


On avait rarement attendu avec autant d’impatience le second débat politique entre les candidats à la Maison-Blanche, traditionnellement éclipsé par les deux autres joutes verbales qui l'encadrent. Néanmoins, après le premier débat, l’expectative était palpable pour le peuple américain. Celui-ci a en effet été grandement surpris par la faiblesse de Barack Hussein Obama, candidat démocrate à sa propre succession et par le rebondissement de la campagne de Willard Mitt Romney, l’outsider républicain qui, grâce à sa prestation dans le Colorado, a pour la première fois montré qu’il était en mesure de porter le costume de président. L'enjeu du 16 octobre 2012, date du second débat à l’université Hofstra de New York était donc simple : Mitt Romney allait-il achever le candidat démocrate affaibli ou bien le natif d’Honolulu réussirait-il au contraire à inverser la tendance et relancer sa campagne qui fait du sur-place depuis quelques semaines ?

Une victoire difficilement chiffrable plus qu’une défaite flagrante.

Telle était donc la donne avant l’affrontement des deux protagonistes qui dominent l’information nord-américaine depuis quelques mois. Et le moins que l’on puisse dire est que Barack Obama a rassuré les démocrates les plus sceptiques en se montrant offensif, précis et volontaire. Il a, en d’autres mots, prouvé qu’il était prêt à lutter jusqu’au bout pour sa réélection lors du scrutin du 6 novembre prochain. Les membres de son parti avaient annoncé l’arrivée d’un nouvel homme, méconnaissable comparé au désastre du premier débat. Il s’était longuement préparé en annulant ses déplacements de campagne trois jours avant le débat.

Et l'audace du 44ème Président des États-Unis a effectivement été de retour. Mitt Romney, annoncé perdant par les analystes, n’a pourtant pas démérité et a su se défendre face aux déferlantes du Président en exercice. Mais sa prestation étincelante du premier débat a rendu terne, en comparaison, sa prestation de mardi dernier. On a donc assisté à une victoire difficilement chiffrable d’Obama plus qu’à une véritable défaite de Romney. Il suffit souvent, dans ce genre d’exercice, d’étudier les visages des débatteurs pour comprendre de quel côté penche la balance. Au cours du show d’hier, Romney est arrivé serein, souriant et conquérant, digne d’un Reagan prédateur face à un naïf Carter, incapable de défendre son bilan. Obama, en revanche, est entré dans « l’arène » peu sûr de lui, concentré sur sa proie et son objectif. Toutefois, c’est Obama qui, par une symétrie inverse, a terminé souriant, l’air moqueur et rigolard, regardant son adversaire avec moquerie et le public avec complicité, quand son challenger lui terminait épuisé, la mâchoire contractée témoignant de son désarroi.

Quarante-cinq secondes et droit dans le piège démocrate.

Tel un tigre blessé, Obama a en effet attaqué rapidement : seules 45 secondes ont été nécessaire pour voir le premier président noir des États-Unis interpeller son adversaire, qui avait la parole, et le contredire. Le ton était donné. A la manière d’un boxeur harcelant son vis-à-vis, l’ancien sénateur de l’Illinois [Obama a été sénateur de l’Etat de l’Illinois entre 1997 et 2004 et sénateur des Etats-Unis pour l’Illinois entre 2004 et 2008, ndb] a réussi à convaincre les médias, même les plus hostiles, de sa victoire aux points (et non pas aux poings). Il est cette fois parvenu à déporter le débat vers sa vision du monde et a brossé le portrait d’un Mitt Romney élitiste et avant tout d’un homme d’argent. Romney l’a sans doute aidé car ce dernier n’a pas pu se protéger des piques accusatrices de son challenger et s’est donc contenté de correspondre un peu plus au cliché caricatural qu’Obama a dressé. 

En énonçant que l’indépendance énergétique américaine allait se régler en forant de nouveaux puits au large de l’Alaska et non pas en misant sur les énergies nouvelles, ou en annonçant que les impôts allaient être baissés pour les entreprises américaines afin de les pousser à réinvestir dans le pays, le politicien mormon a foncé tête baissée dans le piège tendu par les démocrates. Il s’est braqué à droite et a paru plus conservateur que lors du premier débat. Car son image d’homme conservateur très à droite qu’il s’était construit lors de la primaire républicaine n’était qu’un leurre afin d’écarter des adversaires dangereux[1]. Primaires que le Président n’a, lui, pas eu à affronter, profitant donc d’un large front démocrate derrière lui dès le début de sa campagne[2]. La stratégie de son camp était donc de faire de Romney l’illustration parfaite du conservatisme de son parti, aussi bien sur les sujets d’immigration que sur les points économiques ou sociaux. 

S’opposant à Romney, Obama s’est, lui, posé lors de ce débat comme le champion de la middle class américaine[3], si touchée par la crise et donc encore indécise quant au vote du 6 novembre. Il a par exemple rappelé les nombreux mesures prises lors de son mandat contre la discrimination sexuelle, les femmes étant, selon les sondages, toujours très partagées dans leur choix[4]. Il a également rappelé le succès de son plan de sauvetage de l’industrie automobile que Romney avait dénoncé trop hâtivement[5]. L’ensemble de ces mesures mises en avant font partie des décisions fondamentales d’Obama, très suivies par les Américains et notamment par les habitants de l’Ohio, un des Swing States dont les grands électeurs sont si importants pour les candidats[6].

Barack Obama et Mitt Romney lors du deuxième débat, le 16 octobre à New York avec en arrière-plan la modératrice du débat.

Ben Laden et question à la Reagan.

Les attaques incisives d’Obama contre Romney ont été un des éléments marquant du débat qui a eu lieu. Mais c’est surtout sur la question de la politique internationale que l’actuel Président a confirmé son avantage. Ce thème, conjugué aux nombreux énervements qu’il a eu avec la modératrice du débat a fini par donner la victoire à Obama.

Lorsqu’un spectateur lui demande de lui parler de ce qu’il a fait ces quatre dernières années pour le convaincre de voter pour lui, Obama glisse dans sa réponse une phrase volontairement isolée des autres et pleine de grâce : il a permis l’exécution de Ben Laden. Avec sa manière théâtrale d’énoncer la mort de l’ennemi public n°1 des Américains depuis 2001, il a donc gommé tous les points de politique intérieurs qu’il a énoncés après. Cela a donc empêché Romney de revenir sur le gros point faible du mandat d’Obama, avec la question que Reagan avait utilisée pour enterrer les espoirs de Jimmy Carter en 1980 : le pays est-il en meilleure situation que quatre ans auparavant[7] ?

Libye et modératrice du débat.

C’est néanmoins sur la question libyenne que le candidat républicain s’est vraiment cassé les dents. Ce qui aurait pu être un argument décisif de Romney pour contrer et même accuser Obama sur sa gestion du Moyen-Orient s’est retourné contre lui. Le gouverneur du Massachussetts, après avoir énoncé les échecs (réels) du Président dans la région, notamment en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, s’est entaché d’une accusation sur la réaction d’Obama à propos des morts de Benghazi[8]. Attaque qui n’avait en réalité pas lieu d’être et le fait que la modératrice du débat ait dû intervenir pour confirmer les dires d’Obama et donc contredire Romney aura surement une grande influence lors des prochains jours de la campagne. Cela autorise ainsi les démocrates à accentuer leurs critiques face à un Romney inexpérimenté sur le plan international et un peu trop va-t-en-guerre pour de nombreux Américains[9].

Comme un lycéen au rattrapage qui aurait fait l’impasse.

Ces petites victoires accumulées ont donc fini par dessiner un réel succès de l’actuel Président, qui a conclu en disant vouloir être le président du peuple américain face à un candidat qui avait dit ne pas s’intéresser au 47% d’Américains assistés par l’État. Il a donc finalement repris utilisé l’énorme gaffe de Romney lors d’un diner avec ses donateurs et qui avait été étonnamment oubliée lors du débat de Denver, et cela avec une éloquence peu commune qui contredira toutes les hypothèses de mesquineries politiques[10].

On peut donc se demander si le premier débat, celui de Denver, n’a pas été délibérément sacrifié par le candidat-président. Le président ne pouvait pas facilement défendre son bilan, peu reluisant il est vrai. La prestation du président dans le Colorado a été terriblement mauvaise. Il était mal à l’aise dès le début, notamment en évoquant son anniversaire de mariage avec son épouse Michelle Obama qu’il mettait surement en avant afin de se rapprocher des électeurs, mais que Mitt Romney a réussi à désamorcer habilement. Il est vrai que les téléspectateurs n’ont guère l’habitude de voir Obama les yeux sur ses notes, balbutiant des chiffres et se contredisant lui-même, comme un lycéen au rattrapage qui aurait fait l’impasse face à un examinateur du bac.

Le Prix Nobel de la Paix 2009 s’est probablement concentré sur les deux débats qui allaient suivre et cela pour ne pas attaquer Romney toujours avec les mêmes arguments qui, bien que logiques, auraient fini par faire tache sur le propre bilan de son mandat. Conjugué au fait que Joseph Biden, son vice-président, était favori face à son adversaire républicain Ryan, le colistier de Romney, Obama a peut-être décidé de ne pas trop se montrer à Denver, pour rebondir par la suite.

Par ailleurs, étant donné le format du deuxième débat [un town-hall meeting, c'est-à-dire à présence d’électeurs, ndb], Obama ne pouvait que se sentir plus sûr de lui. Ce style a toujours été favorable aux bons orateurs et aux personnes naturellement proches du public, deux catégories auxquelles appartient le Président. Son penchant pour les repas américains arrosés de bières locales en est la preuve parfaite. Et sa tactique de harcèlement constant contre son adversaire, lors du débat de New York, était difficile mais bien plus abordable grâce à son éloquence. Elle a fonctionné car les coups qu’il a donné à son adversaire n’ont pas été vus comme des phrases politiciennes fourbes et intéressées, mais plutôt comme des arguments tranchants.

La belle en Floride.

Après cette victoire d’Obama lors du match retour, certes moins fracassante que celle de Romney à Denver, reste à jouer la belle entre les deux adversaires. Le débat de lundi prochain pourrait être décisif en Floride, un Swing State fondamental pour la victoire finale lors du scrutin du 6 novembre. Il ne restera alors plus que 3 semaines aux Américains pour se décider.

A moins que l’élection, avec le retour d’Obama au premier plan ne soit déjà jouée car les Swing States semblent vaciller de son côté. De plus, sa prestance, son éloquence et son expérience paraissent le porter au-dessus du candidat républicain, qui n’a peut-être bénéficié que d’un avec ce débat, comme pour John McCain en 2008 lorsqu’il avait choisi Sarah Palin comme colistière.

Il faut garder à l’esprit que l’après débat est souvent le plus important. John Kerry avait en effet largement surpassé George W. Bush lors des débats de 2004, en attaquant le Texan sur son néolibéralisme, son conservatisme et surtout en dénonçant la possible hégémonie d’une famille sur le pays. Mais Bush fils était malgré tout devenu le 43ème président du pays, en dépit de ses prestations oratoires calamiteuses. Et ce premier débat raté par Obama, bien qu’il se soit rattrapé par la suite, rappelle peut-être ce fait. Reste aux électeurs américains de décider de la suite à donner à ces élections américaines on ne peut plus passionnantes.


[1] Nick Santornum, par exemple, est considéré comme un candidat très conservateurtrès à droite. Il était un adversaire difficile à contrer pour Romney, qui a donc dû droitiser son discours.
[2] La participation de Bill Clinton lors de la convention démocrate de Charlotte montre l’union démocrate.
[3] L’expression middle class étant une des expressions les plus présentes du débat avec près de 13 évocations
[4] Barack Obama disant : « And I've got two daughters, and I want to make sure that they have the same opportunities that anybody's sons have. That's part of what I'm fighting for as president of the United States. » 
[5] Barack Obama évoquant son plan de sauvetage du secteur automobile de la manière suivante : « You know, when Governor Romney said we should let Detroit go bankrupt, I said, we're going to bet on American workers and the American auto industry, and it's come surging back. I want to do that in industries, not just in Detroit but all across the country. »
[6] Le système électoral américain se base sur les grands-électeurs, qui représentent les votes des États. Certains états vacillant seront donc clés pour le prochain scrutin afin de donner aux candidats une majorité de ces grands-électeurs. Il s'agit du Wisconsin, du Colorado, de la Floride, de la Virginie ou de l’Ohio.
[7] Dans son allocution finale, Reagan posa une simple question aux téléspectateurs et auditeurs qui devaient, selon lui, déterminer leur choix : « Êtes-vous dans une meilleure situation aujourd'hui qu'il y a 4 ans ? ».
[8] Le 11 septembre dernier, une attaque de l’ambassade américaine à Benghazi en Libye a été à l’origine de 4 morts américains dont l’ambassadeur américain. 
[9] Les réflexions de Romney, notamment sur la mauvaise gestion des Jeux Olympiques de Londres, ou agressives contre la Russie sont toujours des critiques que les démocrates utilisent contre le challenger d’Obama.
[10] Obama lors de la dernière question a énoncé vouloir être le président de tous, contrairement à Romney qu’il dénonce en ces termes : « I also believe that when he said behind closed doors that 47 percent of the country considers themselves victims who refuse personal responsibility -- think about who he was talking about: folks on Social Security who've worked all their lives, veterans who've sacrificed for this country, students who are out there trying to, hopefully, advance their own dreams, but also this country's dreams, soldiers who are overseas fighting for us right now, people who are working hard every day, paying payroll tax, gas taxes, but don't make enough income. »

1 commentaire:

  1. Vos deux articles sur la campagne américaine sont tres intéressant! Merci! Et vivement le 6 novembre!

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